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événemens de la vie font éclore et qu’ils brisent parfois, c’est là une source d’intérêt qui ne s’épuise pas. Beaucoup d’écrivains ont abusé de ce genre de peintures ; si elles ne contribuent pas à nous faire mieux connaître l’âme humaine, les influences auxquelles elle cède, les sollicitations auxquelles elle résiste, l’esprit de l’époque s’insinuant dans les relations de la vie privée, on est en droit de n’y voir qu’un puéril commérage. Les fragmens choisis par M. Ritter ne méritent point ce reproche, ils ont leur signification, et nous font mieux connaître l’auteur et le milieu dans lequel sa pensée s’est développée.

Un souvenir d’affection, une pensée tendre et pieuse ont dicté le fragment intitulé ma Mère. Cette biographie a été composée en vue d’un jour solennel, pour la confirmation de la fille de l’auteur, et celui-ci s’est proposé avant tout de maintenir au sein de la famille une tradition de respect et de reconnaissance. Il a désiré que sa plume s’employât à graver dans l’esprit de ses enfans les traits de leur grand’mère. En un tel sujet, on le conçoit, il est des convenances supérieures à l’art du styliste. De nos temps, on a tracé des portraits de famille où ne manquent ni l’art, ni l’attrait : ici la grâce dans les contours, la poésie dans les reflets n’ont guère préoccupé l’auteur. Il ne s’agit point d’ailleurs d’une noble dame, comme les mères de Chateaubriand et de Lamartine. Leurs fils ont pu les peindre dans une attitude pleine de distinction ou parées d’une grâce touchante. M. Strauss s’est dispensé d’un tel soin. Il n’avait à décrire ni château féodal, ni élégante villa. C’est, dans un passé déjà bien reculé pour les enfans conviés à ces souvenirs, le presbytère d’une petite ville, à peine entrevu par la fille du pasteur, bientôt orpheline ; puis la boutique d’un honnête marchand qui accueille sa petite-fille et s’inquiète de son éducation, la modeste maison où s’écoulent les années d’adolescence, partagées entre les soins domestiques et les leçons de l’école du bourg, où l’on n’apprenait ni l’histoire, ni les sciences naturelles, ni la littérature. C’est enfin le comptoir où Christiane Strauss, après un mariage de convenance autant que d’inclination, vient exercer sa vigilance, goûter les joies et éprouver les chagrins qui attendent la mère de famille. Christiane, animée de cette piété pratique qui inspire la force morale et soutient contre les revers, s’empare avec fermeté de la direction des affaires ; par son labeur, par sa prévoyance active, elle prévient une ruine imminente et rétablit le crédit de la maison, Au milieu de ces vicissitudes, que rendent attachantes le naturel du récit et la sincérité du sentiment de piété filiale, on rencontre une heureuse et vive description d’abeilles, d’essaims attentivement considérés par le chef de famille initiant ses fils aux travaux et aux migrations de la colonie ouvrière et développant ainsi leurs facultés d’observation.

Aux souvenirs de la maison paternelle succèdent ceux de la classe. M. Ritter les a empruntés à la biographie de Mærklin, condisciple de