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biographe, habile à intéresser par la familiarité des détails et à en relever la valeur par des vues supérieures. La verve du publiciste se déploie dans la spirituelle étude sur Julien, où l’auteur, faisant le portrait du restaurateur du paganisme discrédité, dessine avec malice, tout au travers de son érudition, la figure d’un souverain de nos temps trop épris de romantisme. Ce fut, selon M. Strauss, le tort de Frédéric-Guillaume IV. Le romantisme, doctrine religieuse et littéraire à la fois, se distinguait par un excessif enthousiasme pour les choses du moyen âge ; il reportait les imaginations vers un passé que d’illustres écrivains et poètes, en Allemagne comme en France, se plaisaient à parer de vives couleurs. M. Strauss possède trop le sens historique pour se fâcher contre le moyen âge ; cependant il n’aime pas non plus les résurrections factices, il n’approuve point, on le voit dans le dialogue consacré à ce sujet, qu’on reconstruise les cathédrales restées inachevées. A un faux enthousiasme correspond un art de convention. Mieux vaut respecter l’œuvre du temps et laisser les choses telles qu’il les a faites. Les monumens gothiques ne perdront rien de leur imposant caractère à porter sur leur front la marque de leur destinée. On a été assez habitué en France à rattacher au mot de romantisme l’idée d’innovation. M. Strauss, en plusieurs points, est moins novateur qu’on n’est tenté de l’imaginer ; c’est en tout cas un esprit très peu prévenu en faveur du romantisme. Ses goûts le portent vers l’époque classique ; il l’avoue nettement. Souabe comme Schiller, il se souvient avec admiration du poète son compatriote avec lequel il se sent en étroite conformité de pensée. Ami de la littérature qui éclaire et qui fortifie la raison, il a aussi une prédilection marquée pour Lessing ; il consacre au drame de Nathan le Sage une étude de critique solide et judicieuse. A propos d’un polémiste du XVIIIe siècle, il vante l’esprit de justice qui inspira les écrivains de cette époque, et il salue en eux les héritiers de l’œuvre de la réforme. Dans la remarquable préface sur Ulrich de Hutten, l’auteur, remontant aux jours de la réforme, fait le compte des progrès acquis et des pertes éprouvées ; il insiste sur la liaison étroite par laquelle la pensée large et émancipatrice des écrivains du XVIIIe siècle se relie à l’esprit même du protestantisme, tout en franchissant sur plusieurs points les limites tracées par les réformateurs et maintenues jusqu’alors par les croyances établies. On le voit donc, nous avons affaire à un écrivain qui se rend compte de ses origines ; c’est au mouvement du XVIIIe siècle qu’il aime à rapporter la direction de son propre esprit.

Dans tous les fragmens que nous venons d’indiquer, il y a largement à recueillir pour tous ceux qui s’occupent de critique et d’histoire. D’autres fragmens, plus spécialement littéraires, nous paraissent devoir être goûtés par un public moins restreint. Les détails personnels, les souvenirs d’enfance et d’études, la peinture des affections que les