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Pendant l’occupation de Hambourg, le général Saulnier, grand-prévôt du 13e corps, arriva un jour consterné, indigné, auprès du maréchal Davout, lui apportant une caricature qu’il venait de faire saisir et qui représentait le maréchal sous une tente soutenue par quatre pendus et leurs potences. Il accourait lui demander d’en faire punir les auteurs ; alors Davout s’écrie en riant : « Eh, mon cher, vous n’êtes pardieu qu’un enfant ! Loin de punir l’auteur, saisissez la planche, et faites tirer cette caricature à 60,000, à 100,000 exemplaires, qu’on la répande soigneusement ensuite ! Escorté de cette réputation effroyable, terrible, j’inspirerai tant de peur que je n’aurai besoin de faire pendre personne. »


Cette anecdote, si caractéristique d’un homme vraiment fait pour commander, s’accorde exactement avec les propres paroles du maréchal dans le mémoire qu’il dut adresser au roi Louis XVIII, pendant la première restauration, pour justifier sa conduite. « Je provoque ici, disait le mémoire, le témoignage des Hambourgeois ; qu’ils citent, qu’ils nomment les individus innocens qui ont été victimes : j’ai été sévère, il est vrai, mais d’une sévérité de paroles qu’il était dans mon système d’affecter dans tous les pays où j’ai commandé, et dont j’ai laissé croître le bruit, bien loin de chercher à le détruire, pour m’épargner la pénible obligation de faire des exemples, » Le maréchal terminait ce mémoire en publiant une partie des instructions de l’empereur, celle qui pouvait le moins nuire au grand vaincu qu’il avait servi avec tant de gloire et de fidélité. « Avouez, Davout, lui dit un jour l’empereur après le retour de l’île d’Elbe, que ma lettre vous a bien servi pour vous défendre auprès des autres. — Oui, sire, répondit le maréchal, mais, si votre majesté eût été aux Tuileries, et que j’eusse dû publier ce mémoire, j’aurais donné la lettre entière. »

Davout avait une qualité qui, selon nous, est la qualité suprême de tout homme appelé à exercer l’autorité, c’est qu’il aimait les gens d’un mérite sérieux comme le sien, et qu’il ne consentait jamais à se séparer d’un officier dont il avait éprouvé la solidité et l’expérience. Il fut un jour menacé de perdre le général Gudin, qu’il affectionnait beaucoup, — le Gudin de l’une de ces trois immortelles divisions Gudin, Morand, Friant. Voici, au rapport du général de Trobriand, de quelle humeur il prit cette menace.


« Murât voulant garder le général Gudin, Davout reçut à Brünn une dépêche qui lui annonçait que le général Puthod remplacerait ce premier. Davout était alors dans la chapelle du château, et, la messe terminée, il trouva plus de trois cents personnes rassemblées dans la galerie pour lui faire leur cour. Le sourcil froncé, les bras croisés derrière le dos, il se promenait avec agitation sans rien dire à personne. On se faisait petit, on l’observait, quand le malheureux général Puthod, qui ne