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bien ! cela suffit pour lui composer un aspect pittoresque et séduisant. Il est impossible de n’être pas prévenu en sa faveur lorsque, dès l’arrivée, on l’aperçoit du débarcadère, ramassée tout entière comme un énorme bouquet aux tiges inégales ou une corbeille trop pleine, et que du centre de cette corbeille la jolie cathédrale, fleur gothique exquise, s’élance comme pour vous sourire et vous inviter à entrer. Rien de plus coquet, de plus riant, de plus piquant que ce premier aspect, qui vous laisse tout disposé à croire Auxerre la plus gracieuse des villes, et qui vous fait partir d’un pied léger pour aller examiner ses charmes de plus près. Il y a bien d’abord quelque désillusion lorsqu’on s’est approché, et l’on a envie de trouver que cette corbeille de loin si coquette est un simple panier de ménagère, car cette élégance d’aspect est une illusion de la perspective, et ne correspond nullement au vrai caractère de la ville, qui est celui d’une simplicité toute bourgeoise, et si nous ne craignions que le mot fût pris à tort en mauvaise part, nous dirions volontiers d’une forte vulgarité ; mais ce désappointement dure peu, et un réel attrait se révèle bientôt dans cette physionomie nouvelle. Je ne crois pas qu’il y ait de ville qui se présente avec moins d’étalage, qui trahisse moins d’envie de briller ; on dirait même qu’à aucune époque Auxerre n’a senti ce besoin de se moderniser que les villes ressentent de siècle en siècle, et auquel elles cèdent presque toujours au risque de s’enlaidir. Ses rues pittoresquement tortueuses et escarpées ont l’air d’avoir été tracées à l’origine même de cette ville et de n’avoir jamais été rectifiées depuis, et ses maisons, qui paraissent vieillottes même lorsqu’elles sont neuves, ont l’air d’avoir été reconstruites sur un modèle admis une fois pour toutes. Ce sont des maisons sans prétention ni dehors, marquées d’un cachet de bonhomie toute populaire, faites pour loger des gens sans façon, vivant, comme dit le peuple, à la bonne franquette et sans faire d’embarras, d’humeur gaie et même un peu grasse, cherchant plus volontiers le plaisir et le bonheur dans une réalité très matériellement substantielle que dans les illusions d’une vanité flatteuse. Telle est la double originalité d’Auxerre ; de loin c’est une toute gracieuse poésie, de près c’est une robuste prose, de saveur originale, et en qui la franche empreinte du passé n’est pas encore effacée.

Cette forte marque populaire, ce sans-façon des demeures qui semblent faire fi du luxe extérieur, ces rues inégales, escarpées, tortueuses, ce dédain de la régularité et de l’affiche qui a l’air d’être le génie caché du lieu, rien de tout cela ne surprend quand on songe à l’ancienne histoire d’Auxerre. Chaque ville a son origine propre, et il est parfois étonnant de voir à quel point sa physionomie moderne dément peu cette origine, malgré toutes les