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après tant d’échecs et de déboires, quand son chef lui-même s’est décidé à quitter le champ de bataille, la phalange royaliste refuse obstinément de se rendre ; elle proclame héroïquement que tôt ou tard elle sauvera la France en lui rendant ses anciens rois. A l’exemple de son chef, elle ne veut pas entendre parler de compromis avec la société moderne ; elle n’admet pas de milieu entre la pure tradition monarchique et l’anarchie révolutionnaire. Tout ou rien, c’est sa devise, et elle périra plutôt que de s’incliner devant l’usurpation populaire.

Il faut rendre hommage au courage malheureux : les légitimistes se conduisent en ce moment comme des chevaliers de la Table-Ronde ; mais la vérité a également ses droits, et il faut voir les choses comme elles sont, quand on ne veut pas être dupe et qu’on a la généreuse ambition de sauver son pays. Cette tradition séculaire qu’on veut maintenir intacte, ce drapeau sans tache qu’on ne veut pas souiller des couleurs révolutionnaires, sont justement ce qu’il y a de plus impopulaire en France. On n’y tolère les légitimistes qu’à la condition qu’ils ne montrent pas leur drapeau ; sitôt qu’on voit poindre en eux les hommes de parti, l’opinion conservatrice elle-même les abandonne. S’ils persistent comme aujourd’hui dans leurs prétentions hautaines, ils deviennent pour le pays un véritable épouvantail, et ils éloignent l’opinion de toutes les causes qu’ils défendent. C’est là un fait, injuste peut-être, mais indiscutable : la France laborieuse, issue de la révolution, éprouve une aversion profonde pour tout ce qui lui rappelle l’ancien régime. Aux yeux du peuple, la légitimité est un fantôme plus redoutable que le jacobinisme ; aux yeux de la bourgeoisie, même monarchiste, elle ne serait qu’un pis-aller pour éviter la commune. La dîme, les corvées, les droits féodaux, les privilèges et la tyrannie nobiliaires ont laissé dans l’esprit du peuple des souvenirs profonds, qu’il n’est pas difficile d’évoquer, et qui se présentent d’eux-mêmes à la première apparition du drapeau blanc. Sans partager entièrement ces naïfs préjugés populaires, on ne doit pas méconnaître la portion de vérité qu’ils contiennent. Il y a, au fond de ces contes bleus sur le rétablissement des privilèges du clergé et de la noblesse, un sentiment très juste de l’irréconciliabilité de la vieille tradition monarchique avec le principe nouveau de la souveraineté nationale. Leur réconciliation a été tentée une fois dans les conditions les plus favorables, à un moment où la France, façonnée de nouveau à la monarchie par un dictateur militaire et surmenée par le turbulent génie qui avait prétendu asseoir la révolution sur le trône, succombait à l’épuisement de vingt années de guerre, et ne demandait plus rien qu’un peu de repos. Elle a échoué