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polygamie, n’est pas rare dans les montagnes chez les chrétiens, comme chez : les musulmans. Le prêtre ne reconnaît pas ces unions ; l’Albanais a peine à croire qu’elles soient coupables ; pourvu que la femme légale garde une sorte de supériorité, que les autres restent dans une condition inférieure, assez, semblable à celle que les rois grecs devaient faire à ces captives qui remplissaient leurs maisons, et dont ils parlaient avec une brutale franchise devant le peuple assemblé.

On s’étonne parfois de voir les constitutions anciennes de l’Italie et de la Grèce exclure les femmes de l’héritage, usage dont nous retrouvons la trace jusque dans les lois relativement récentes d’Athènes et de Rome. Cette coutume, à laquelle on cherche des explications savantes et compliquées, est une suite de la condition faite à la femme. En Albanie, la veuve n’a aucune part aux biens de son mari mort. Les fils prennent la terre et les troupeaux ; si la mère ne se remarie pas, ils lui constituent un douaire, ou plutôt la gardent avec eux ; ils doivent de même pourvoir à la vie de leurs sœurs. Souvent la femme retourne dans sa famille paternelle, n’emportant avec elle que les objets d’usage qu’on lui a donnés lors de ses fiançailles. Les habitudes antiques avaient établi dans plusieurs pays que la veuve pouvait être épousée sans son consentement par les parens du mort. Cette coutume se retrouve chez les Schkipétars. Nous n’avons nulle difficulté à nous en rendre compte ; la femme est une chose plutôt qu’une personne. Dans les villes où la vie libre de la campagne devient difficile, les filles sont mises sous clé. Celles qui sont chrétiennes ne sortent qu’une fois par an pour aller à une messe qu’on célèbre pour elles seules durant la nuit de Noël. A l’exception de cette fête, elles ne voient que leurs plus proches parens et le prêtre qui vient leur enseigner le catéchisme. Le gynécée n’avait rien de plus rigoureux. Les voyageurs ont souvent dit qu’un homme pouvait parcourir toute l’Albanie sous la protection d’une femme, et que dans ce pays les atteintes à l’honneur étaient très rares. Il est vrai que le rapt est la seule forme de violence qu’admettent ces tribus, et que la femme leur inspire un certain respect ; mais il faut se garder de voir dans cette conduite la preuve d’une moralité supérieure. Les vertus de cet ordre qu’on admire chez les peuples primitifs sont toujours fragiles, elles admettent de si grandes défaillances qu’on a pu soutenir avec une égale vérité que la corruption germaine démentait, toutes les assertions de Ta<-cite et que cet historien avait été rigoureusement exact. On voit bien ce que sont devenues en quelques années les tribus les plus vertueuses quand elles se sont trouvées en contact avec la vie romaine, quelle facilité elles avaient à la débauche. Les Européens