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ces tribus indépendantes ; ni les empereurs de Constantinople ni les dynastes de Raschie ne cherchèrent à les administrer. Aujourd’hui les Albanais reconnaissent l’autorité de la Porte, mais vivent à leur guise. Ils forment des clans, phars ou djetas, mots qui signifient foyer ; les phars doivent en temps de guerre un contingent armé. Cette obligation, que leur caractère guerrier accepte sans répugnance, est le seul lien qui les rattache au gouvernement central. On ne peut vivre au milieu de ce peuple sans mieux comprendre cette ancienne barbarie dont Thucydide disait dès le Ve siècle qu’elle n’avait pas laissé de trace, et qu’elle n’offrait plus à l’historien aucun sujet d’étude. Les hommes que nous avons sous les yeux dans ces montagnes en sont encore à cet état tout primitif où l’idée de cité n’est pas née, où les instincts seuls règlent les actions. Ce qui augmente pour nous l’intérêt de ces mœurs, de ces usages, de cette vie si étrange, c’est que cette race est du même sang que les Grecs et les Romains, c’est qu’à bien des égards on reconnaît chez elle des traits de caractères, des détails et des nuances que nous devinons chez les personnages de l’époque homérique.

L’Albanais a une parfaite distinction ; la tête petite, le nez fin, l’œil vif, ouvert en amande, le cou long, le corps maigre, les jambes hautes et nerveuses, il rappelle le type premier du Grec, tel que la sculpture archaïque l’a représenté sur les marbres d’Égine. Sa démarche est élégante ; il prend plaisir à composer son maintien, il y met une véritable recherche, et par là, malgré l’état inculte où il est encore, il montre qu’il a le sentiment du beau et de l’harmonie. Il n’est pas jusqu’au costume qui ne fasse souvenir de l’antiquité. La fustanelle blanche rappelle ce que devait être la tunique plissée à la ceinture, les grandes guêtres qui enveloppent les jambes jusqu’aux genoux sont les cnémides de l’âge héroïque. Le costume n’est pas étoffé et flottant comme à la belle époque grecque, mais on voit bien, par les vases d’ancien style, que les Hellènes d’autrefois n’avaient pas sur ce point les habitudes des contemporains de Périclès. Une tunique ample et un manteau plus ample, qui se prêtaient aux dispositions les plus élégantes, devinrent par la suite d’un usage général. La stèle du guerrier de Marathon, quelques fresques de l’Italie méridionale, représentent l’homme serré dans des vêtemens étroits, et le même type se retrouve souvent sur les vases peints à figures noires. Pour les femmes, la robe à manches collantes et le tablier précèdent la tunique ionienne et le péplos. C’est en Albanie qu’il faut chercher aujourd’hui l’explication des plus anciens costumes helléniques.

Il n’y a pas de lien entre les différentes tribus d’Albanie. Elles parlent des dialectes peu différens, portent un nom commun, se