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dont les auteurs eux-mêmes ne dissimulaient ni le caractère ni la portée. Sous ce mot de responsabilité ministérielle habilement mis en avant se cachait à peine l’intention réelle. On voulait à tout prix éloigner M. Thiers de l’assemblée, et le placer dans l’alternative de se retirer ou d’accepter un ministère, expression directe et exclusive de la majorité ou de ce qu’on croyait être la majorité ; on opposait un gouvernement au gouvernement de M. Thiers. — C’était une sorte de déclaration de rupture et le commencement d’une série d’opérations de guerre où le gouvernement, il faut le dire, a répondu par une grande modération à un système trop évident d’hostilité. À la proposition tranchante et agressive des quinze, il opposait une motion demandant à l’assemblée de nommer une commission nouvelle composée de trente membres et chargée d’examiner toutes les questions relatives, non-seulement à la responsabilité ministérielle, mais encore aux attributions des pouvoirs publics. Avec un peu de bonne volonté, rien n’était plus facile que de s’entendre, que de concilier les deux propositions. On préférait pousser le conflit jusqu’au bout, accepter la lutte dans toute sa gravité, au risque d’aller au-devant de la crise la plus dangereuse et de s’exposer à ce qui est précisément arrivé, à une scission de l’assemblée, qui s’est trouvée partagée en deux camps presque égaux. Sans doute le gouvernement gardait l’avantage, un avantage de moins de 40 voix. La victoire était néanmoins médiocre, et la défaite de la droite n’était pas de celles qui découragent un parti animé au combat ; elle était si peu décisive que dès le lendemain la droite songeait à prendre une revanche. Elle a trouvé une occasion, elle l’a saisie avec une sorte d’impatience fébrile.

Cette fois, c’est sur le ministre de l’intérieur, M. Victor Lefranc, que l’orage éclatait subitement à propos de quelques adresses politiques de conseils municipaux qui n’auraient pas été ramenés assez vivement dans le cercle de leurs attributions légales. Le pauvre M. Victor Lefranc est tombé sur la place, foudroyé par un ordre du jour qui lui a laissé à peine le temps de se reconnaître. La droite était satisfaite de s’être mesurée avec M. Victor Lefranc et d’avoir vaincu cet athlète. Seulement la situation n’avait guère changé au point de vue parlementaire. La veille, le gouvernement avait eu une majorité de quarante voix ; le lendemain, c’était la droite qui retrouvait quelques voix de majorité ; ce qu’il y a de plus étrange, c’est que, pour remporter cette victoire signalée dans une circonstance où il s’agissait, disait-on, de faire respecter la loi, la droite a été conduite au combat par des bonapartistes, fort chatouilleux, comme on sait, sur tout ce qui est affaire de légalité. Au milieu de tout cela, M. le président de la république s’est-il laissé aller à quelque mouvement de mauvaise humeur ? Nullement en vérité ; il n’a témoigné aucune impatience, il a pris quelques jours, et dans la reconstitution de son ministère il s’est visiblement étudié à suivre les conseils de la modération et de la conciliation. Il a fait passer au ministère