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d’honneur, dans cette situation où elle est contrainte d’avoir l’œil tout à la fois sur les résistances, qu’elle ne fera qu’irriter en cherchant à les dompter, et sur la France, qu’elle croira toujours disposée à saisir les occasions de reprendre ses provinces perdues. L’Allemagne est puissante et forte, elle est en mesure de se défendre, c’est possible ; elle n’a pas moins créé un foyer d’incandescence inextinguible, en présence duquel elle s’oblige à rester armée, et en restant armée elle provoque toutes les autres puissances à se tenir sur un perpétuel qui-vive, d’autant plus que ce principe de conquête dont elle se fait le portc-drap.au, dont elle est désormais la personnification vivante, est une menace plus ou moins directe, plus ou moins dissimulée, pour tous ceux qui ont une population balbutiant un mot de langue allemande. Elle arrive ainsi à entretenir un malaise qu’elle n’est même pas maîtresse d’apaiser, à réveiller partout ce sentiment, que la paix est sans avenir, que de nouvelles luttes sont inévitables à un jour donné.

On ne s’y trompe pas en Europe, en Angleterre, en Autriche, même en Russie ; après avoir laissé l’Allemagne accomplir jusqu’au bout ses desseins de conquête en France, on se demande ce qui sortira d’une situation livrée à tant de hasards, et cette impression si vive qui s’est récemment produite au spectacle des dernières misères de l’Alsace-Lorraine n’est que le déguisement d’une prévoyance plus politique. Qu’on s’évertue encore à Berlin et dans les journaux d’Allemagne à crier sans cesse que c’est la France qui est le grand trouble-fète par ses projets de revanche, par ses armemens, ce n’est plus qu’un thème banal, l’éternelle objurgation du conquérant à l’égard de celui qu’il a dépouillé. Eh ! non, ce n’est pas la France qui peut méditer pour le moment des revanches et des guerres nouvelles, même lorsqu’elle remplit le devoir le plus simple, en s’efforçant de relever sa puissance militaire au niveau du rang qu’elle entend ne pas perdre ; c’est la Prusse qui, en amassant des fermens redoutables au cœur du continent, a préparé pour tout le monde un avenir incertain et précaire. C’est la Prusse qui a fait entrer l’Europe dans cette voie où toutes les combinaisons auciennes ont disparu sans être remplacées, où rien n’est assuré, où tous les droits, tous les intérêts se heurtent dans une sorte d’obscurité sous la surveillance de la force, dernière gardienne des sécurités en péril. Il ne s’agit pas, bien entendu, de la paix d’aujourd’hui ni même de demain. C’est une situation nouvelle qui s’ouvre pour l’Europe, qui a commencé ou qui du moins s’est aggravée par les revers, par le démembrement de notre patrie, et qui en nous laissant à tous un but national, patriotique à poursuivre, nous crée par cela même l’obligation de la prudence la plus attentive, de la réserve la plus sévère, d’une trêve permanente, indéfinie, volontaire, de toutes les dissensions et de toutes les agitations.

Eh bien ! lorsqu’il en est ainsi, lorsque les exilés de nos provinces perdues arrivent dans nos villes pour nous parler de la fidélité de l’Al-