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de l’intelligence. On ne peut nier en effet que Jérôme n’ait fait en mainte occasion preuve d’humanité et de clémence : aux émigrés qui refusaient de rentrer dans le royaume, aux réfractaires qui se dérobaient à la conscription, aux conspirateurs de 1809, il ne fit jamais sentir toute la rigueur des lois impériales. Il était attaché à ses amis, fidèle aux vieilles affections; mais ses amis étaient trop souvent des favoris, et sa bonté, trop prodigue pour eux, devenait cruauté pour ses sujets. Dans sa correspondance, il se montre vivement ému de la misère des paysans ou des pensionnaires de l’état; mais il ne demanda jamais un million de moins pour la liste civile. Au conseil, on admirait a son coup d’œil, sa perspicacité, son talent pour résumer les opinions; » mais la représentation, le théâtre, les ballets, les parties de campagne, les parties de chasse, ne lui laissaient pas le temps d’étudier les affaires. « Ses décisions, dit Reinhard, résultent de cette conviction vive qui jaillit du moment; elles sont l’ouvrage du génie, puisqu’elles sont autant de découvertes... Peut-être, entravé par des études préliminaires, son coup d’œil serait-il moins juste. » Le ministre de France ne tardera pas à revenir de cet enthousiasme pour les princes qui improvisent leurs décisions et qui font des « découvertes » au conseil. Plus tard, il souhaitera au jeune roi « d’écarter de ses heures consacrées au travail la frivolité et l’inexpérience. » On a vu que Jollivet était bien autrement sévère.

Reinhard a remarqué aussi que le caractère de Jérôme, qui d’ailleurs n’avait que vingt-trois ans à son avènement, n’était réellement pas formé. « Avoir ses volontés, c’est à ses yeux avoir du caractère, tandis que trop souvent c’est en manquer. L’empereur aime qu’on ait du caractère, voilà son refrain. » De là ces emportemens violens où il ne parlait d’abord que de juger en personne les rebelles et de brûler les universités, puis ces accès de clémence qui allait jusqu’à la faiblesse; de là cette impuissance absolue de suivre avec fermeté une réforme commencée, et surtout de se réformer lui-même. Un éloge que les contemporains lui attribuent sans restriction, c’est de savoir bien représenter. « Rien n’est comparable à l’aisance et à la dignité avec laquelle il représente. Rien n’est appris, rien n’est étudié. On voit que la couronne ne lui pèse pas parce qu’il se sent digne de la porter. » Une telle qualité, si elle est seule, peut bien faire un mannequin royal, non un roi. Malheureusement le talent de représenter s’alliait chez lui à un amour exagéré du faste, de l’ostentation, de l’étiquette. C’est une des choses qui ruinèrent la Westphalie et qui autorisèrent l’empereur à écrire le 5 janvier 1812 : « La France n’a pas demandé que la cour de Cassel rivalisât de luxe et d’éclat avec la cour impériale. »