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même sous forme d’emprunt forcé, une somme égale à cette liste civile de 7 millions; les étrangers ne lui ont prêté 2 millions qu’avec des intérêts usuraires; les 1,800,000 francs qu’il avait empruntés à la caisse des consignations française, et qu’il ne pouvait payer, lui ont attiré de Napoléon les paroles les plus dures et les plus humiliantes. Voilà ce qu’étaient 2 millions pour la Westphalie! Il faut ajouter que l’empereur, parfaitement instruit des prodigalités de son frère, ne se souciait pas de lui abandonner un argent dont la grande armée avait besoin. Jérôme était mal venu à se plaindre à l’empereur de ses embarras financiers quand il donnait à un Le Camus en don gratuit un domaine qui rapportait 40,000 francs; il était mal venu à déplorer les souffrances du pays quand il consacrait 300,000 francs par an à la création d’un ordre inutile. On ne saurait imaginer combien Jérôme a fait ainsi de mal à ses sujets : il les appauvrissait non-seulement de l’argent qu’il gaspillait, mais de celui que l’empereur était bien décidé à ne pas laisser gaspiller. Quel intérêt pouvait porter Napoléon aux embarras financiers de la Westphalie lorsqu’il lisait en tête d’un rapport de Jollivet à Champagny ces reproches trop véridiques : « monseigneur, j’ai perdu maintenant l’espérance que sa majesté le roi de Westphalie, malgré ses excellentes qualités et son extrême sagacité, qui est l’apanage de la famille, puisse sortir de la position embarrassante où l’ont entraîné de mauvais conseils, l’inexpérience du gouvernement, des passions trop ardentes et un penchant irrésistible à la prodigalité. »


II.

Le ministère de la guerre, après le départ un peu précipité du général Lagrange, fut donné au général Morio, aide-de-camp de Jérôme pendant la campagne de Silésie, ancien élève de l’École polytechnique, et qui avait quelque mérite. Établi sans idée de retour en Westphalie, il avait épousé la sœur de Le Camus, favori du roi. Il fut destitué au mois d’août 1808 pour avoir pris, à l’insu de Jérôme, le titre de capitaine des gardes et les avoir fait manœuvrer sans prendre d’ordre. Cet essai de prétorianisme lui coûta son portefeuille, mais non l’affection du roi; il resta grand-écuyer jusqu’en 1811. Il fut assassiné par un maréchal ferrant nommé Lepage, à qui il avait fait perdre la clientèle de la cour[1]. Son successeur

  1. On trouve dans le Journal de la reine un fait curieux à propos de l’assassin. Une femme du peuple « est allée chez le ministre de la justice et a demandé la grâce de Lepage, qu’elle voulait épouser. Cette demande et cette proposition se rattachaient à un ancien usage allemand. En vertu de cet usage, si le criminel trouve une femme voulant l’épouser, le souverain habituellement lui fait grâce. » Cette touchante et absurde coutume n’avait point été respectée par la législation nouvelle.