Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son de Messala. Le célèbre panégyrique, si étrangement faible, qui ouvre le quatrième livre, est d’un contemporain demeuré inconnu. Quant aux petites élégies VII-XII du livre IV, elles sont, comme on sait, de quelque grande et belle dame du temps, qui vivait dans l’intimité de Messala. Elle-même se nomme « Sulpicia, fille de Servius. » Il est probable qu’elle descendait de la vieille gent patricienne des Sulpicii. Horace, en ses satires, parle d’un Servius qui est le même que celui que Pline le Jeune compte parmi les auteurs de poésies érotiques; ce Servius, sans doute fils du jurisconsulte Servius Salpicius Rufus, est le père de la Sulpicia dont l’œuvre est venue jusqu’à nous dans le volume de vers qui porte en tête le nom de Tibulle. Rien de moins authentique, on le voit, que ce recueil pris en bloc. Depuis deux siècles, les plus doctes philologues de l’Allemagne se sont évertués à résoudre les mille problèmes de critique et d’histoire littéraire que soulèvent ces textes, et leurs descendans ont eu au moins la piété de consacrer tant de savantes veilles en faisant passer dans les livres classiques les résultats principaux auxquels on est arrivé. Dans une édition populaire de Teubner datée de 1870, revue par M. L. Müller, les élégies du livre III portent le nom de Lygdamus, le panégyrique de Messala est attribué à un auteur inconnu, et les petites élégies VII-XII du livre IV sont rendues à Sulpicia.

C’est dans l’île de Corcyre, l’antique Phæacia, en vue des côtes d’Épire, que Tibulle malade, seul, abandonné de ses compagnons d’armes, a composé, en songeant à Délia, la première des élégies qui nous occupent[1]. Depuis douze mois déjà (on était dans l’automne de 724), il avait quitté Rome pour suivre en Gaule son tout-puissant protecteur, M. Valerius Messala Corvinus, à qui il devait peut-être le rétablissement de la fortune de sa famille. Après avoir embrassé le parti du sénat, combattu à Philippes avec Brutus et Cassius et servi quelque temps Antoine, Messala avait passé dans les rangs d’Octave, et, nommé consul avec le jeune dictateur à la place d’Antoine, il avait commandé à Actium le centre de la flotte. Agrippa et Mécène pouvaient seuls l’emporter sur Messala dans la faveur du maître. La lutte suprême pour l’empire du monde avait été livrée le 2 septembre 723 (= 31). Quelques jours ou quelques semaines après. Octave envoyait en Gaule Messala pour étouffer une formidable insurrection qui venait d’éclater dans l’Aquitaine. Tibulle, qui dans la guerre civile n’avait pris les armes pour aucun parti, accompagna son ami dans les forêts et sur les monts des Pyrénées, où les druides entretenaient un foyer de rébellions tou-

  1. Tibul., l. I, III. — L’ordre chronologique des cinq élégies déliennes, adopté par Lachmann et suivi par M. Otto Richter, est le suivant : III. I, II, V, VI.