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pour soutenir que notre poète devait être plus âgé qu’Ovide, et en conclure avec Scaliger et Heyne que le vers en question est interpolé, voilà qui paraît assez inutile aujourd’hui, J. Heinrich Voss ayant établi, il y a bientôt un siècle, que le troisième livre des Élégies n’est point authentique. Ce résultat de la critique, adopté par le plus docte des éditeurs de Tibulle, par Dissen, confirmé par bien d’autres fins connaisseurs de notre poète et de la littérature latine, comme Paldamus, Lachmann, Gruppe, Hertzberg, Binder, Eberz, est désormais acquis à la science. Le Romain inconnu qui s’est caché sous le nom grec de Lygdamus, inscrit en tête du troisième livre, a pu naître la même année que le poète de Sulmone; voilà tout. Aussi bien celui-ci a marqué lui-même sa place dans le cortège des poètes ses contemporains et ses « aînés. » Il nomme le vieux Macer, qui lui lut ses Oiseaux, Ponticus et Bassus, ses com- pagnons, Horace, Properce, qui n’avait que quatre ans de plus que lui. A peine a-t-il entrevu Virgile. Quant à Tibulle, les destins jaloux l’avaient ravi trop tôt à son amitié. Tibulle avait succédé à Gallus; Properce succéda à Tibulle. « Dans la série des temps, dit Ovide, je vins le quatrième. » A la mort de Virgile et de Tibulle, en 735 (= 19), Ovide n’avait encore que vingt-quatre ans, car, si l’on ignore l’époque de la naissance de Tibulle, on connaît l’année de sa mort par une épigramme d’un précurseur de Martial, Domitius Marsus, ami de Mécène, qui composa aussi des élégies, une épopée et d’autres écrits encore : « Toi aussi, Tibulle, la mort inique t’a envoyé jeune retrouver Virgile dans les Champs-Elysées, afin qu’il n’y eût plus personne ni pour pleurer les molles amours dans l’élégie ni pour chanter en vers héroïques les guerres des rois. » Ainsi, quand Tibulle expira, peu après Virgile, en 735 ou 736, il était « jeune, » ou, suivant l’expression même de son ancien biographe, Hiéronymus d’Alexandrie, « dans la fleur de la jeunesse. » Comme on était juvenis au moins jusqu’à quarante ans, Tibulle n’avait donc alors pas plus de trente-cinq à quarante ans, et partant il doit être né en l’an 695 ou 700 de Rome[1].

Nous laissons de côté l’hypothèse d’Oebeke, qui a cru reconnaître le poète Cassius de Parme dans l’auteur du troisième livre des Élégies, et celle de Gruppe, pour qui Lygdamus ne serait autre qu’Ovide, ce qui rendrait raison et du vers prétendu interpolé et des réminiscences de ce poète, assez fréquentes dans ce livre : on abandonne bien vite cette manière de voir quand on connaît les argumens que Hertzberg a produits contre cette supposition, et qu’il a tirés de l’examen du style et de la versification, Lygdamus n’est

  1. Voss et Dissen ont adopté la première de ces dates, Eberz et la plupart des exégètes récens la seconde.