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de cent personnes venant et mangeant en leur hôtel, et ce nombre avait augmenté sous la ligue.

Aussi considérable était leur popularité, fondée sur l’ascendant naturel de trois générations d’hommes supérieurs. Leur qualité de race étrangère leur suscitait des jalousies dans la grande noblesse : les Montmorency les exécraient ; mais le peuple de Paris n’en tenait compte, non plus que la moyenne et petite noblesse. Leur séduction était, paraît-il, irrésistible, et Paris raffolait d’eux. Ils ne se montraient jamais que suivis d’un cortège théâtral. Leurs légendes de famille les faisaient passer pour la plus ancienne maison de la chrétienté, et leur rivalité héréditaire avec la maison de Bourbon, les princes des fleurs de lis, augmentait le lustre qui les entourait. Ils tenaient d’ailleurs de près à tous les trônes par leurs alliances ; ils étaient les plus proches parens du roi. La reine Louise de Vaudemont était de leur tige ; la première femme du duc de Lorraine était sœur du roi, et Claude de Guise avait épousé Antoinette de Bourbon. Rien n’égalait la beauté de leur sang et la noblesse de leur allure, que le Tasse a célébrées. François, le grand duc de Guise, avait une figure héroïque, et les enfans que lui avait donnés la gracieuse Anne d’Este, sœur du duc de Ferrare[1], étaient beaux comme des anges, selon l’expression d’un ambassadeur étranger. Tout en eux était donc objet de sympathie pour la foule, en face de la race royale, maigre, chétive et grêle, devenue odieuse au peuple par mille bruits abominables qui se sont renouvelés sous Louis XV[2]. Ils affectaient les magnanimités royales. Lorsque François de Guise fit le prince de Condé prisonnier à la bataille de Dreux, il lui offrit pour coucher la moitié de son lit, et dormit fort bien à côté de son ennemi, qui lui ne dormit pas du tout[3] ; mais celui des Guises qui fut le plus adoré des Parisiens fut Henri, l’assassiné de Blois.

« La France étoit folle de cet homme-là, dit un célèbre écrivain du XVIIe siècle, car c’est trop peu dire amoureuse, » et c’était vrai. Son entrée à Paris, à la veille des barricades, fat une scène de délire public. On savait qu’il désobéissait au roi, lequel pouvait l’en punir. La population entière se rua hors des maisons pour l’accla-

  1. Elle se consola un peu vite avec le duc de Nemours du meurtre de Poltrot. Henri de Guise ne fut guère plus heureux avec Catherine de Clèves et put s’en convaincre de son vivant ; mais ces détails n’ôtèrent rien de leur prestige ni au père, ni au fils, et ce n’était que justice.
  2. Voyez dans Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 631. — Davila, favorable aux Valois, dit de Henri III : « Concepirono tanto odio contro di lui l’una e l’altra parte, che la sua religione fu stimata ipocrisia, la sua prudenza malizia, la sua destrezza viltà d’animo, spregiata la sua domestichezza, detestato il suo nome, imputate di vizi enormi le sue domestichezze. »
  3. Voyez l’Histoire des princes de Condé, de M. le duc d’Aumale, t. Ier.