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charge publique, bien lourde sans doute, mais qu’il fallait subir par devoir et en bon patriote. Auguste, qui lut dans le sénat et fit connaître au peuple par un édit le discours de Métellus, Auguste, qui se présente à nous, dans l’inscription d’Ancyre, comme un réformateur des mœurs, qui par de nouvelles lois entreprit de faire revivre les coutumes et les usages des ancêtres, essaya vainement, dès 727 de Rome, de combattre le célibat chez les deux sexes. Neuf ans après, il ne fut guère plus heureux avec les lois juliennes, ni plus tard encore avec la loi Papia Poppœa, qui frappait de peines très sévères les hommes de vingt à soixante ans non mariés, ou qui, au-delà de vingt-cinq ans, n’avaient point d’enfans, et les femmes de vingt à cinquante ans non mariées, ou qui, au-delà de vingt ans, étaient sans enfant. Cette loi, dit Tacite, ne fit pas contracter plus de mariages ni élever plus d’enfans. On s’en douterait bien un peu, même sans ce grave témoignage. Là où nous ne voyons aujourd’hui qu’un assez lourd contre-sens d’Auguste, une faute de goût toute romantique qui surprend fort dans un esprit si lucide et si juste, les contemporains que la loi atteignait ont vu un véritable attentat contre ce que les modernes devaient appeler la liberté individuelle, notion encore bien confuse, mais dont on commençait d’avoir un vague sentiment. En cessant d’être citoyen, le Romain devenait homme. Une très haute philosophie, peu comprise, bien que très répandue à Rome, la doctrine d’Épicure, présentait volontiers le célibat comme une condition de paix, de sérénité, d’indépendance spirituelle et de vraie liberté. Sans doute, chacun usait de cette liberté d’une manière un peu différente, et ce n’était pas toujours la philosophie qui gagnait ce que l’état perdait.

Mais il faut avouer que le mariage, tel que l’avaient fait les nouvelles mœurs, n’était guère de nature à tenter les gens délicats, amoureux du repos et de l’étude, ou simplement soucieux de leur honneur. Dans les derniers temps de la république, le mariage était devenu une union passagère, une sorte de contrat de louage aussi facilement rompu que conclu; renouvelé à volonté sans le moindre empêchement, il laissait aux deux époux toute liberté de se livrer à leurs fantaisies. Le divorce, si contraire à l’institution religieuse du mariage et à peu près inconnu à Rome jusque-là, était maintenant un événement de tous les jours. Les registres publics étaient couverts d’actes de divorce. Les grands avaient donné l’exemple. Sylla, comme Pompée, épousa cinq femmes. César quatre comme Antoine, sans compter Cléopâtre. La fille bien-aimée de Cicéron, Tullia, eut trois maris. On comprend que Sénèque, avec sa manière de dire un peu exagérée qui rappelle le convitium sœculi de nos prédicateurs, ait eu quelque raison d’écrire que certaines femmes