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bilité de son territoire le renom d’être une des places de commerce les plus sûres et les plus fréquentées. Après la destruction de Corinthe, c’est de Délos que l’Italie tira tous les articles de luxe d’origine orientale jusqu’à l’époque des guerres de Mithridate, époque où fut anéantie dans un épouvantable massacre presque toute la population commerçante de l’île, composée surtout d’Italiens. C’est alors que Pouzzole, cette c petite Délos, » comme l’appelait le poète Lucilius, trafiqua directement avec la Syrie et Alexandrie.

Délos n’est point la seule île de la mer Egée où le commerce d’esclaves ait été florissant. Chios, Samos, Lesbos, les grandes cités d’Éphèse et de Milet, sur les côtes de l’Asie-Mineure, ont eu la même célébrité. Les esclaves gardaient souvent le nom du pays d’où ils venaient[1], et, bien que cet indice soit quelquefois trompeur, on doit cependant en tenir compte. Ainsi il pouvait arriver qu’on appelât « Lesbienne » une esclave achetée à Lesbos, mais venue d’une tout autre contrée, dont nul ne savait plus le nom, pas même l’esclave, laquelle avait peut-être été enlevée tout enfant, ou était née de parens déjà captifs. Cependant les noms d’esclaves que nous trouvons dans Plaute et dans Térence, Ion, Ephesius, Thessala, Lydus, Syra, Lesbia, Phrygia, etc., sont un bon critérium de l’origine ou de la provenance des classes serviles à Rome. Si l’esclave avait été élevée avec soin, si elle dansait avec la grâce voluptueuse des Ioniennes, si au son des crotales, du tambour de basque, des castagnettes de Bétique, elle était habile à imiter les pas et les mouvemens lascifs des danseuses de Cadix, si elle savait chanter avec charme une ode de Sappho, quelque molle mélodie, quelque légère chanson des bords du Nil, en frappant du plectrum d’ivoire les cordes d’une lyre, ou en promenant deux belles mains sur la harpe de Phénicie, ou tout simplement si elle était jolie et plaisait à quelque Romain, celui-ci achetait au marchand la belle captive et la faisait affranchir. C’était là l’histoire de presque toutes les femmes du demi-monde (de celles du moins qui n’étaient pas étrangères et ne s’étaient point rachetées de leur propre pécule), de toutes ces affranchies, adulées comme des reines par la jeunesse de Rome, célébrées à l’envi par les élégiaques latins, par Gallus, Tibulle, Properce et Ovide. Cette histoire-là était aussi ancienne que commune ; on était habitué à la voir représenter dans les comédies : c’est le sujet du Persan de Plaute par exemple où Toxile, pour le dire en passant, conseille à un leno (sorte de ruffiano antique) d’acheter une belle fille que des pirates sont censés avoir enlevée.

Si quelque fière matrone romaine, très pure encore dans quel-

  1. Movers, Die Phönizer, B. III, p. 81.