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plus, le lendemain, le roi de Hollande, en ouvrant les chambres néerlandaises, rappelait la nécessité de prendre des mesures pour assurer la défense du pays ; bien mieux, l’empereur d’Autriche lui-même, en inaugurant la session des délégations à Pesth, a proposé une augmentation des dépenses militaires. Ce n’est là sans doute qu’une simple coïncidence dénuée de toute signification politique, ce n’est pas moins d’un singulier à-propos au lendemain d’une telle entrevue. L’empereur Guillaume quittait à peine ses hôtes, qu’il allait à Marienburg assister à des fêtes nouvelles pour la célébration du centième anniversaire de l’annexion des provinces occidentales de la Prusse. C’est un euphémisme pour désigner le partage de la Pologne. Nous sommes en 1872, le 13 septembre il y a eu juste un siècle que Frédéric II a étendu la main sur sa part du butin polonais. Sous Guillaume Ier, cela s’appelle « la réunion des provinces occidentales de la Prusse. » On fête aujourd’hui dans l’ancienne capitale de l’ordre teutonique le centenaire de l’annexion mère de toutes les annexions. On parle de la paix en célébrant toutes les victoires de la force, et c’est de cette manière sans doute qu’on veut préparer l’Europe à se reposer dans les pacifiques et bienfaisantes conditions de la conquête érigée en système !

À la même heure cependant, il se passait dans un coin de l’Europe un événement qui a fait moins de bruit, et qui, pour le bien de la paix entre les peuples, pourrait avoir autant et plus d’importance que toutes les entrevues impériales ou les anniversaires des conquêtes de la force. Un simple tribunal, composé d’honnêtes gens délégués comme arbitres, a mis fin à la querelle qui pesait depuis des années sur les rapports de deux grandes nations, l’Angleterre et les États-Unis. Cette éternelle question de l’Alabama n’existe plus, les arbitres de Genève l’ont tranchée définitivement. Ce tribunal, on ne l’a pas oublié, se composait d’hommes distingués choisis par l’Italie, le Brésil et la Suisse, avec le concours de représentans des deux gouvernemens intéressés ; il était présidé par un personnage italien d’un grand savoir, d’une droiture supérieure, le comte Sclopis, que le roi Victor-Emmanuel avait désigné pour le représenter dans cette œuvre aussi difficile que délicate. Le tribunal arbitral enfin avait dû se réunir dans un pays neutre, en Suisse, à Genève, comme dans le lieu le plus favorable à des délibérations tranquilles et indépendantes.

Cet arbitrage a été plus d’une fois sur le point d’échouer par suite des mésintelligences profondes qui existaient entre les deux cabinets de Londres et de Washington au sujet des questions qui devaient être posées et résolues. Rien n’était plus difficile à définir que la juridiction même de ce tribunal, investi d’attributions à la fois si considérables et si vagues. L’Angleterre n’admettait pas que ce qu’on appelait la question des « dommages indirects » pût être l’objet d’un examen,