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de méprises, à tant d’incapacité, à tant d’humiliations publiques, ce serait bien le moins qu’on ne parlât pas si haut, qu’on ne mît pas cette ostentation à côté des misères nationales dont on n’est pas entièrement innocent.

Pourquoi donc M. Gambetta s’est-il laissé entraîner dans cette campagne de propagande radicale, dont le paroxysme paraît avoir été jusqu’ici à Grenoble ? Il n’y a peut-être en vérité qu’une raison. L’ancien dictateur aura va que la république pouvait se fonder sans lui, que beaucoup d’hommes des opinions modérées ne refusaient nullement leur concours à une expérience sincère des institutions républicaines, qu’on paraissait nourrir la pensée de compléter l’organisation du pays, de façon à ne pas tout livrer à l’aventure, et, voyant cela, il n’a pu se contenir ; il a éprouvé une véritable indignation, comme si on lui prenait son bien. Comment ? on songerait à « fonder une république libérale, constitutionnelle ! » mais c’est une évidente conspiration. « Pour moi, pour ma patrie, s’est-il écrié en s’adressant à ses amis de Grenoble, gardez-vous de donner dans cette ignoble comédie. » Ainsi, voilà qui est entendu, quand on prétend fonder « la république libérale, » c’est une comédie. Que veut alors M. Gambetta ? Il n’a vraiment pas le mérite de la nouveauté, son système est des plus simples. Ce qu’il veut, c’est la république de M. Gambetta avec l’excommunication majeure et l’exclusion de tous ceux qui ne partagent pas ses idées. Le menu peuple, les petites gens, on les admettra sans trop regarder à leur passé. Quant à ceux qui ont eu un rôle dans la politique, qui ont pu avoir des opinions d’une orthodoxie douteuse, l’ancien dictateur, qui vise quelquefois à être plaisant, propose de les traiter comme les premiers chrétiens ; « il faut les mettre à la porte de l’église afin qu’ils fassent pénitence. » On a beaucoup ri, il paraît que c’était de l’esprit dans ce monde-là. Qu’on mette donc à la porte de l’église tout ce qui représente l’intelligence française, y compris M. Thiers naturellement ; c’est une entreprise à tenter, d’autant plus que M. Gambetta, qui est un grand patriote, n’a guère qu’une chose à craindre, c’est de disparaître bientôt lui-même, après avoir attiré sur la France les Prussiens, qui ne se hâteront pas de quitter Belfort, et l’empire, qui n’attend que son avènement pour préparer sa rentrée. Voilà tout ce qu’on risque, et, pour des démagogues qui sont de l’intérieur de l’église, c’est bien peu de chose !

Ce qu’il y a de plus navrant dans ces agitations radicales, dont la France serait la première victime, si on ne les tenait en respect, c’est qu’elles ne sont pas seulement violentes et malfaisantes, elles ne laissent pas même entrevoir une idée, elles ne cachent que la plus lamentable pauvreté d’esprit. Qu’on exprime tous ces discours, ces manifestes, on ne peut en dégager une seule pensée sérieuse. C’est le plus prodi-