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unique représentant les intérêts divers de la France. Ils ont cru habile d’attaquer de toute façon, d’essayer de ruiner ce qu’ils appelaient dédaigneusement le provisoire, et ils n’ont pas vu qu’en combattant ce provisoire, sans pouvoir le remplacer, ils lui donnaient de plus en plus sa raison d’être et sa force. Tout ce qu’ils ont fait ou tout ce qu’ils ont tenté n’a eu d’autre résultat que d’imprimer à ce qui existe un caractère plus permanent et plus durable, et en réalité, depuis six mois, il y a eu tout un travail pour régulariser cette situation, pour s’y établir en quelque sorte, en lui donnant tous ces noms qui ont passé dans les polémiques, les noms de république conservatrice, de république constitutionnelle, de république de M. Thiers. On finissait par s’y accoutumer. On s’y ralliait peu à peu, on y venait, non pas peut-être par un choix enthousiaste, mais par raison, par nécessité, par un certain sentiment pratique des choses. C’était le penchant du pays, c’était la tendance des esprits sincères qui ne sacrifient pas tout à un intérêt ou à une préférence de parti. Le vrai mot de ce mouvement, M. Casimir Perier le disait il y a peu de jours encore dans une lettre empreinte de la plus honnête et de la plus loyale franchise. « Dans le cours d’un siècle presque entier de révolutions successives, écrivait-il, toutes les formes de gouvernement ont été essayées tour à tour, sauf une seule, celle d’une république régulière loyalement acceptée de la majorité de la nation, servie sans préventions d’une part, sans faiblesses de l’autre. C’est une épreuve qui nous reste à faire ; faisons-la courageusement et honnêtement… » Ce que pense et ce que dit M. Casimir Perier, bien d’autres l’ont pensé, et la politique du gouvernement lui-même n’est que l’expression de cette tendance de plus en plus marquée. Que restait-il à faire, si ce n’est à persévérer dans cette voie, à se rallier par degrés sur ce terrain où toutes les opinions sensées pouvaient se rencontrer pour travailler en commun à la reconstitution nationale, morale, politique, de la France ? C’est cependant le moment que les radicaux choisissent pour rallumer la guerre, pour évoquer les souvenirs les plus lugubres, pour réveiller les divisions et les défiances, et, si depuis un an les monarchistes absolus et exclusifs ont fait sans le vouloir les affaires de la république, il n’est point impossible qu’à leur tour les radicaux, s’ils continuent, ne refassent d’ici à peu les affaires de la monarchie.

C’est une histoire invariable. Les radicaux sont un parti de domination turbulente et agitatrice, ils ne peuvent longtemps se contenir. Seulement ils se sont trop pressés, ils se sont démasqués trop vite. Ils se sont estimés un moment très habiles en affectant une certaine modération relative, en ayant l’air de ménager le gouvernement et M. Thiers, comme si M. Thiers et le gouvernement, en gardant la république, n’avaient d’autre mission que de préparer leur règne prochain. L’heure est venue où ils ont cru que c’était assez de tactique, qu’il n’y avait plus qu’à