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pruntés à l’histoire serbo-croate. La guerre contre les Turcs inspira à Gondola un poème épique, l’Osmanide. Le Tasse, l’Arioste, les lyriques italiens trouvèrent des imitateurs qui plièrent le slave à l’expression d’idées bien nouvelles pour cette langue[1].

L’emphase, le madrigal, le mauvais goût tiennent, comme on le pense facilement, trop de place dans cette poésie. On ne peut oublier cependant que, si ces œuvres raguséennes ne nous étaient pas parvenues, l’histoire littéraire des Slaves du sud se réduirait à quelques chroniques barbares, à quelques chants des Morlachs et des Serbes. Puis, à côté de ces qualités d’imagination, nous trouvons l’habitude des études précises, des recherches érudites. C’est la marque que nous avons affaire à de bons esprits. Le Dalmate du reste a toujours eu le goût de la science, en particulier de l’histoire. Sans rappeler Lucius de Trau, Orbini au XVIe siècle, Lourich au XVIIIe, Cattalinich et Kreglianovich de nos jours ont raconté avec talent les événemens dont leur pays a été le théâtre. M. Aschik a publié sur les antiquités du Bosphore cimmérien un livre qui fait autorité. La nouvelle école de slavisans qui à Raguse et en Croatie se consacre à l’étude des chartes et des chroniques connaît les méthodes modernes et les applique. Ces patriotes ont raison de rechercher avec tant de soin tous les monumens de leur passé, d’éditer ces poèmes, ces tragédies, ces vieux diplômes, ces récits historiques; ils voient, en poursuivant ces études, ce qu’eussent fait leurs pères si la fortune n’eût pas été pour eux d’une rigueur sans merci. Ils nous montrent comment un passé malheureux explique un présent difficile; ils nous montrent aussi par quelques exemples décisifs que les aptitudes naturelles et les qualités solides n’ont pas manqué aux Slaves du sud.


III.

Quand en l’année 305 l’empereur Dioclétien abdiqua l’empire, il choisit pour lieu de sa retraite une ville de Dalmatie. Il était parti de ce pays dans sa jeunesse, pauvre inconnu, le bâton à la main, la besace au côté. Les cheveux rasés, la courte tunique serrée à la ceinture, les fortes sandales aux pieds, il ressemblait à ces paysans dalmates que nous retrouvons aujourd’hui sur les bas-reliefs. Ce campagnard était devenu général, empereur, il était devenu dieu. Tout ce que la gloire humaine peut rêver de puissance, il

  1. Pour citer seulement quelques titres, Jean François Gondola, le prince des poètes dalmates, mort en 1638, a composé une Ariane, les drames de Galatée, de Diane, d’Armide, de Cérés, de Cléopâtre, le sacrifice de l’Amour. Un historien de Raguse, Appendini, prétend que Cosmes III de Médicis apprit le slave pour lire ces chefs-d’œuvre.