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général que le sexe fort, plus aimantes, plus constantes dans leurs affections malgré le dicton de François Ier et de tant de poètes, et charitables de telle façon que notre charité paraît souvent auprès de la leur bien pâle et bien froide, plus constantes aussi dans la douleur, plus patientes, plus résignées et douées de cette force d’âme qui accepte et brave la souffrance quand la conviction, le cœur est en jeu. Voilà qui va nous mettre fort mal avec les héroïnes de l’émancipation. De la souffrance, elles en ont assez; de la patience et de la résignation, elles n’en veulent plus. Et pourtant cet éloge vaut pour le moins la supériorité intellectuelle, et cette supériorité intellectuelle, qui ne serait sans la valeur morale qu’une supériorité diabolique, nous voulons aussi qu’on la leur concède pour certains genres. Non, on ne déprécie pas l’intelligence de la femme en reconnaissant qu’elle n’a ni ne peut avoir la force qui crée et qui combine, la puissance inventive au même degré que l’homme. Pourquoi n’a-t-il été donné à aucune, même dans les conditions de liberté qui ont permis à quelques-unes de prendre tout leur essor, de n’être ni un Homère, ni un Aristote, ni un Platon, ni un Newton, ni un Descartes, ni un Corneille, ni un Molière, ni un Bossuet, ni un Montesquieu, et, dans des sortes de talens qui paraissent un peu plus à leur portée, ni un Glück, ni un Michel-Ange? Et à qui M. Mill persuadera-t-il que, si cette force de combinaison et d’invention, cette faculté créatrice en un mot, qu’elle s’applique aux sciences, aux arts, à la mécanique, est moindre chez les femmes les plus heureusement douées, cela dépend de leur assujettissement et non de leur organisation naturelle, qui en donne l’explication si aisée et de tant de manières?

Nous voici arrivés au point le plus important et le plus litigieux de la controverse. M. Mill, au nom de sa théorie d’égalité, réclame pour les femmes le droit de suffrage. Eh bien ! fallût-il accepter ses conclusions sur ce point, nous ne donnerons pas raison pour cela à son argumentation. Nous ne croyons pas qu’il y ait un rapport nécessaire entre les droits politiques et la proposition de l’égalité intellectuelle des sexes. On pourrait regarder la femme comme inférieure à l’homme en intelligence sans pour cela conclure à une incapacité absolue qui lui ôterait le droit de voter. Bien des individus inférieurs par l’esprit jouissent en fait de ce droit. On pourrait d’un autre côté accorder l’égalité d’intelligence chez la femme et lui contester l’usage des droits politiques, si la politique ne paraît pas être son vrai rôle et sa vraie destinée, et si cet usage entraînait pour la société moins d’avantages que d’inconvéniens. Voilà de quelle façon, selon nous, la question doit être posée. Un vain parallèle sur la valeur intellectuelle respective des deux sexes n’a pas ici la portée qu’on lui suppose. Que m’importe que la femme soit aussi