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chiffres destinés à marquer la mesure en moins de ses capacités politiques et civiles. Ainsi il lui plaît de représenter la force physique de l’homme par 3 et celle de la femme par 2. Plus arbitrairement peut-être encore il représente par la même proportion la force intellectuelle des deux sexes, et même leur force morale, celle-ci n’étant pas moindre chez la femme, à en croire le paradoxal et très peu galant auteur de la Justice et la révolution. Multipliant ces trois infériorités les unes par les autres, le grave docteur du socialisme arrive à cette conclusion, digne des prémisses, que la part d’influence des femmes dans la société relativement à celle des hommes ne doit être que de 8 à 27. Ceci est bon à renvoyer à Rabelais. A quelle période de l’humanité rejetterait la moitié féminine du genre humain cette belle application d’une prétendue méthode mathématique? Faut-il rappeler qu’un des griefs de ce défenseur résolu et systématique de l’idée de progrès était l’esprit religieux et conservateur des femmes, leur passivité, qui fait selon lui le fond même de leur nature à la fois exaltée et docile? Ennemi du sentiment, il voyait un mal, le plus grand des obstacles, dans leur influence. Il en eût fait plutôt des servantes que des citoyennes.

Dans son parti-pris d’exalter les mérites intellectuels des femmes, M. Mill va jusqu’à regarder comme une concession injurieuse l’opinion qui leur accorde la plus glorieuse des supériorités, la supériorité morale. Il sort de son impassibilité habituelle pour traiter avec une singulière dureté, avec emportement même, cette opinion qui n’a rien pourtant que de fort honorable pour les femmes. Ne lui dites pas que, supérieures par le cœur le plus ordinairement, par le dévoûment, les femmes ont aussi cet avantage, attesté par les statistiques officielles, de présenter un moindre nombre de crimes. Il ne voit là qu’un éloge ironique. C’est, dit-il, comme si on louait les nègres esclaves de ne pas commettre les crimes qu’entraîne l’état de liberté. Singulier honneur, pouvons-nous dire à notre tour, que leur zélé panégyriste fait aux femmes! Ainsi il ne leur manque pour nous égaler par le mal que de les laisser libres ! Livrées sans frein à leurs instincts, elles rivaliseront avec nous sur la liste des crimes et délits ! Elles n’auront guère moins de détentions., de prisons et d’amendes! Oh! le bel éloge et la glorieuse perspective ! Heureusement, avec plus de justice que M. Mill, il faut reconnaître que c’est dans les classes mêmes où les femmes jouissent d’une plus grande liberté que leur criminalité attestée par les statistiques apparaît la moindre. Oui, dût M. Mill en être humilié pour ses clientes, dût-il accuser cette louange elle-même d’être, selon ses expressions, « un rabaissement niais des facultés intellectuelles et un sot panégyrique de la nature morale de la femme, » nous leur reconnaîtrons, ce que tous n’accordent pas, d’être meilleures en