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certaines conditions et dans certaines catégories. Le bill qui réunit pour une seconde lecture au parlement un nombre considérable et croissant de suffrages, non pas très éloigné même de la majorité, ne prétend s’appliquer qu’aux femmes chefs d’établissement et payant l’impôt. En fait, cela ferait à peu près, dit-on, 190,000 femmes électeurs ; en principe, la femme n’est là envisagée que comme contribuable, et le droit de voter y paraît beaucoup plus inhérent à l’intérêt représenté qu’à la personne. Comment ne pas reconnaître pourtant sinon dans l’idée fondamentale du bill, du moins dans plus d’un commentaire, une tout autre portée ? En prenant une part principale au débat devant la chambre des communes, M. Bright, dans la séance du 1er  mai de cette année, n’a-t-il pas présenté plus d’un argument qui dépasse la sphère d’un droit purement économique et fiscal ? Il combat en théorie l’incapacité politique des femmes. Le célèbre orateur, ami de M. Cobden, voit en outre pour elles dans l’exercice des droits politiques un moyen d’améliorations ultérieures ; il ne craint pas d’assimiler sous ce rapport le bill à deux autres, celui de 1832, qui a eu des résultats profitables pour les classes moyennes, et celui de 1867, qui a produit les mêmes effets pour la classe ouvrière. N’est-il pas de toute évidence en effet que renfermer la question dans les limites posées par la condition de house-holders and rate payers est une idée des plus chimériques ? Les femmes exclues se résigneraient-elles à cet avènement politique d’une fraction de leur sexe ? Suffirait-il que cette fraction justifiât son privilège par des motifs tirés du cens et de la direction d’une industrie ? A-t-on vu chez nous les hommes exclus de l’électorat à 300 et à 200 francs accepter cette exclusion comme définitive ? La brèche ouverte, n’est-il pas certain que toutes voudraient y passer ? C’est le danger qu’ont signalé plusieurs des orateurs qui repoussent le bill dans le parlement. Pour motiver ces craintes, M. Boverie remarquait même que, dans la Grande-Bretagne, les femmes sont plus nombreuses par suite de l’émigration d’une partie de la population mâle. L’orateur voit déjà la politique extérieure de l’Angleterre s’efféminer. Au dedans, quels périls non moins redoutables ! C’est à faire trembler tous les fonctionnaires du royaume-uni. Comment les femmes, qui ont la supériorité numérique, manqueront-elles de tout accaparer ? Un écrivain de la Fortnightly-Review, c’est un souvenir que l’orateur rappelait avec effroi, n’allait-il pas jusqu’à demander pour les femmes l’entrée dans la milice ? Ces prévisions à longue échéance d’un mal jusqu’ici fort imaginaire peuvent nous faire sourire ; elles montrent du moins le degré de sérieux qu’on attache à la question de l’émancipation des femmes en Angleterre.

En dehors du parlement, la campagne de l’émancipation em-