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duc à se méfier du roi, lequel comptait lui jouer un tour qui pourrait lui coûter la vie. De tout ceci votre majesté pourra, si elle ne l’a déjà fait depuis longtemps, se faire une idée du caractère de sa sainteté et de la foi que méritent ses paroles, et comprendre comment elle se rangera toujours du côté du plus fort[1]. »

Aux embarras purement politiques se joignaient des embarras d’argent, qui tourmentaient beaucoup le duc de Guise. — Lestoile nous apprend que le fameux banquier Zamet avait été de sa part l’objet d’extorsions singulières en ce moment critique[2]. Il demanda des subsides à Rome où l’on se garda bien de les lui fournir. Il en demanda au roi d’Espagne, qui lui fit compter une somme assez considérable, malgré sa gêne personnelle, et qui en promit bien davantage. Le duc écrivait le 28 mai à Mendoza : « Le plus nécessaire de tout est qu’il plaise à M. le duc de Parme commander que les 300,000 écus promis soient promptement envoyés, parce que le retardement incommoderait beaucoup nos affaires, en ce qu’il ne se peut jamais présenter une occasion plus grande ni plus conforme aux conventions et conditions accordées, et pour plus grande diligence ne plaindre la dépense de courrier exprès, pour en apporter la plus grande somme que faire se pourra. » Dans une autre dépêche Mendoza mandait à son souverain : « Mucius (le duc de Guise) se trouve bien pressé, car il m’a demandé de lui faire avancer par des négocians de Rouen, et sous ma garantie, une somme de 30,000 écus. Je lui ai répondu que ce serait de ma part une fort grave imprudence, parce qu’une pareille affaire traitée par moi avec des négocians ne manquerait pas de parvenir à la connaissance du roi... » L’Espagnol mettait un grand mystère dans ses relations avec Henri de Guise, et l’on en comprend le motif. On voit par les documens publiés que leurs rencontres n’avaient lieu que la nuit; mais l’ambassadeur vénitien à Madrid avait vu clair à travers tous les voiles. M. de Hübner nous livre une missive de ce personnage au doge, sous la date de Madrid 17 juin 1588, et qui est intéressante à connaître. « Il n’y a aucun doute, porte la dépêche, que le duc de Guise n’ait agi de concert et avec l’appui du roi d’Espagne. Il est tout aussi certain qu’on a de nouveau envoyé de l’argent au duc de Guise, et que le roi très chrétien s’en est plaint auprès du pape. Ce prince a déclaré que, si l’on continuait de la sorte, il se verrait un jour obligé de prendre quelque résolution étrange et à laquelle il n’avait jamais songé, et il a fait appel à la prudence et à l’autorité du pape pour mettre un terme à ces désordres; mais ici (à Madrid), on s’excuse sur le désir d’empêcher les

  1. Voyez M. de Hübner, Sixte-Quint, t. III, p. 30. Pièces justificatives.
  2. Lestoile, édit. cit., p. 252. Zamet habitait rue de la Cerisaie un bel hôtel où est morte Gabrielle d’Estrées, et qui est devenu plus tard l’hôtel de Lesdiguières.