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blissement communal des seize, qui s’étaient distribués dans les seize quartiers de la ville, et qui, vendus aux Guise, s’y partageaient au nom de la religion la disposition de toutes les affaires. La paix de Nemours, qui consterna les esprits droits et modérés, augmenta l’audace des ligueurs et mit de nouveau les armes aux mains des protestans. Il s’ensuivit la guerre qu’on nomma des trois Henri, savoir Henri III, Henri de Navarre et Henri de Guise. Lutte indécise d’abord, qui aboutit en Guienne à la bataille de Coutras gagnée par Henri de Navarre, et à Paris à de menaçantes démonstrations de la ligue et des seize contre la royauté. La Sorbonne délibéra « que l’on pouvait ôter le gouvernement aux princes que l’on ne trouvait pas tels qu’il fallait, comme on ôtait l’administration au tuteur qu’on avait pour suspect[1]. » Le roi interdit au duc de Guise le séjour de Paris, que dut aussi quitter le duc de Mayenne intimidé par les préparatifs hostiles du gouvernement royal, qui prenait une attitude agressive. L’excitation croissante amena dans la capitale la journée des barricades, provoquée par les intentions qu’on supposait au roi, fortifié dans son Louvre, et disposé à un coup de main contre les ligueurs. Rappelé avec insistance par les seize, le duc de Guise rentra bien accompagné dans Paris malgré la défense du roi, et se présenta hardiment chez la reine-mère, Catherine de Médicis, en son hôtel de Soissons[2]. Étonnée de cette audace, et comprenant la force du parti, Catherine essaya d’apaiser les esprits, et, se portant conciliatrice, elle conduisit le duc de Guise au Louvre, où sa présence déconcerta le roi, qui n’eut ni le courage de s’en défaire, ce dont il avait envie, ni du moins la précaution de s’assurer de sa personne, ce qui eût été facile. La témérité du duc fut heureuse à ce dernier, qui, n’étant pas sans appréhension pendant cette visite hardie, se retira au plus tôt en son grand et bel hôtel, récemment construit[3] au Marais. La démonstration de Guise coïncidait avec

  1. Le président Hénault, sur l’année 1587.
  2. Le vaste hôtel de Soissons a été démoli au siècle dernier, et sur son emplacement a été construite la Halle au Blé; il ne reste de la demeure de Catherine que la colonne d’observations astrologiques qu’on voit encore adossée contre la construction moderne. Voyez Bonnefons, les Hôtels historiques de Paris, p. 159 et suiv.
  3. François de Lorraine, le grand duc de Guise, le héros de Metz, et Henri de Guise son fils, le héros de la ligue, avaient fait bâtir le bel hôtel de Guise sur le vaste emplacement compris entre les rues du Chaume, de Paradis, Vieille-du-Temple et des Quatre-Fils. En cet endroit s’étaient élevés jadis trois hôtels célèbres : l’un était l’hôtel de Clisson, dont la porte d’entrée, flanquée de deux charmantes tourelles, se voit encore rue du Chaume, en face de la rue de Braque. Le connétable de Clisson avait fait bâtir cet hôtel en 1383, et c’est au coin d’une rue près de là qu’il fut assassiné par Pierre de Craon, en revenant de l’hôtel Saint-Paul, au milieu de la nuit. La maison de Guise avait acquis cet hôtel en 1553, et François de Lorraine en conserva la porte d’entrée, qui sert aujourd’hui d’accès à l’École des chartes; mais il reconstruisit l’habitation en l’agrandissant par l’achat du vieil hôtel de Navarre, ancienne demeure de Charles le Mauvais, qui avait passé aux d’Armagnac, et qu’habita d’abord le cardinal de Lorraine. Cet hôtel ouvrait rue de Paradis et occupait la place de la cour d’honneur des archives nationales. François de Guise étendit encore son logement par l’achat de l’hôtel de La Rocheguion, à lui vendu par Louis de Rohan-Montbazon, et dont l’entrée était rue Vieille-du-Temple. Il se donna ainsi le palais d’un souverain et des jardins magnifiques, dont il entrait à peine en possession quand il reçut le coup de mort de Poltrot. Le grand hôtel de Guise, achevé par Henri son fils, décoré par le Primatice et par Jean Goujon, fut acheté par la belle princesse de Soubise en 1697 des successeurs de la maison de Guise, et Saint-Simon a dit comment elle en paya le prix. Au commencement du siècle dernier, les Soubise ont fait reconstruire l’hôtel presque en entier, tel que nous le voyons encore, après en avoir détaché la portion qui donnait sur la rue Vieille-du-Temple pour en former l’hôtel de Strasbourg, qu’a occupé le grand-aumônier Louis de Rohan, de l’affaire du collier ; c’est aujourd’hui l’imprimerie nationale. Quant à l’hôtel de Soubise, il a reçu le dépôt des archives nationales, après les confiscations révolutionnaires. Voyez Jaillot, Recherches sur Paris, quartier Saint-Avoie, p. 35 et suivantes, et Bonnefons, les Hôtels historiques de Paris, p. 3 et suiv.