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quant à l’administration civile, elle dégénéra en brigandage. Les dénonciations, les rixes, les meurtres, les vengeances, se multiplièrent et restèrent impunis. L’idée de proscription redevint familière aux esprits, et dans la société française livrée en proie aux mauvaises passions, on put craindre de voir éclipser les premiers bienfaits de la civilisation, la sécurité, le respect des lois. L’affection disparut des familles, et dans les corps de l’état comme les parlemens il y eut partage d’opinion et de drapeau, scission et lutte ouverte. Toute autorité publique était tombée en mépris ; elle fut remplacée par celle des meneurs de partis et de leurs sicaires. En nos provinces et à Paris on se crut ramené aux temps barbares; on s’abandonna librement à des fureurs qu’on avait crues éteintes avec les Bourguignons et les Armagnacs. Le pouvoir municipal dans les villes fut transporté à des comités démagogiques, catholiques ou protestans, et l’anarchie prédomina partout. A certain moment on parla de brûler Paris plutôt que de le livrer à Henri III. Ce mouvement communal, républicain même, le mot fut prononcé, explique l’immense popularité de la ligue catholique dans les villes. Paris, Marseille en ont offert les monumens.

Aussi, lorsque parut l’édit d’octobre 15S5, qui augmentait l’audace de l’union et vouait les protestans à des proscriptions sanglantes, la partie saine du parlement de Paris, restée attachée à la régularité monarchique, vota des remontrances pour s’opposer à l’enregistrement. Il y était dit : « Qui oserait exposer à la mort tant de millions d’hommes, femmes et enfans sans cause ni raison apparente, vu qu’on ne leur impute aucun crime que d’hérésie, hérésie encore inconnue et pour le moins indécise?.. Que dira la postérité si elle entend jamais que votre cour de parlement ait mis en délibération d’honorer du nom paternel de vos édits les articles d’une ligue assemblée contre l’état, armée contre la personne du roi, qui s’élève contre Dieu même, dont elle emprunte le nom, et qui outrage la nature, commandant aux pères de n’être plus pères à leurs enfans, invitant l’ami à trahir son ami, et appelant l’assassin à la succession de l’assassiné; sans parler d’autres iniquités assemblées en nombre infini sous cette forme d’édit, par lequel ceux qui en sont auteurs espèrent pouvoir gagner le royaume après qu’ils l’auront fait perdre au roi? » Le fanatisme venant en aide à la sédition anarchique, on lisait dans les pamphlets de la ligue que la Saint-Barthélémy fut une saignée salutaire, regrettant seulement quelle eût été insuffisante-, que l’hérésie était un mal auquel il faut mettre le fer et le feu, on y louait l’inquisition d’Espagne, et admettant même le fait douteux de l’immolation de don Carlos, réputé partisan de la réforme, on y glorifiait Philippe II de s’être privé