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à l’ordinaire; des détachemens allèrent saisir les caisses de l’état, d’autres reprendre les canons. On distribua la solde et les vivres, on assigna des logemens réguliers. On prit à un Juif alsacien qui passait à Eschwege quarante chevaux destinés à la grande armée : ils servirent à monter un petit corps de cavalerie; on entra en relations avec les autres régimens licenciés. Enfin un ancien capitaine du régiment de Wurmb, von Ussler, étant venu à passer, on le força d’accepter le commandement, et on le proclama « colonel des Hessois. »

A Hersfeld, sur la Fulda, une rixe entre un bourgeois et un soldat italien, la veille de Noël, fut le signal du mouvement. L’officier commandant le détachement fut saisi et maltraité; un soldat fut tué d’un coup de feu sur la place d’armes, les autres furent chassés de la ville, poursuivis, désarmés par les paysans; un employé qui s’efforçait d’apaiser cette émotion pensa être assommé. A Smalkade, à droite de la Werra, une troupe de soldats et de campagnards enfoncèrent une des portes, tombèrent sur le poste, qui était composé de soldats du prince-primat, en blessèrent quelques-uns, en prirent deux, chassèrent le reste, et s’emparèrent de treize canons électoraux à destination de Mayence. A Marburg, place forte sur le Lahn, la petite garnison française fut chassée de la ville et de la citadelle. La forteresse de Ziegenhain faillit également être enlevée d’un coup de main par un sous-officier du nom de Triebfürst. Lorsqu’on lui demanda ce qu’il voulait, « nous réclamons, répondit-il, ce qu’on nous a pris : le pain et la solde. »

Quelle que fût la méthode qui présidait d’abord aux mouvemens de cette insurrection militaire, quelques efforts que fit von Ussler pour maintenir un peu d’ordre parmi ses troupes, il est certain que des soldats habitués à une discipline de fer ne pouvaient obéir longtemps à un pouvoir tout d’opinion. Aux militaires s’étaient joints des paysans, puis des vagabonds, des bandits. Il n’y eut pas toujours des vivres et une solde régulière. Les bourgeois eurent bientôt à souffrir de la rapacité, de l’ivrognerie, de la brutalité de leurs libérateurs, et se prirent à souhaiter l’arrivée des Français.

Aux premières nouvelles du soulèvement, Lagrange s’était empressé, pour calmer les esprits, de publier une proclamation où il déclarait qu’il n’avait jamais prétendu forcer personne à prendre du service. Les ministres hessois s’employèrent de leur côté à chapitrer la population. Le 25 et le 27 décembre, on promit amnistie générale pour tous ceux qui « rentreraient dans le devoir; » le 28, nouvelle proclamation conciliante du gouverneur-général. Cependant la panique se répandait dans le pays : à Cassel, on racontait que 20,000 soldats ou paysans marchaient pour donner l’assaut à la capitale; mais bientôt on put annoncer l’arrivée prochaine de