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sa faveur le père Letellier, qui pousse à la destruction de Port-Royal; elle ébranle le crédit de Colbert en l’accusant « de penser à ses finances et jamais à Dieu ; » elle porte un coup fatal à notre établissement militaire en prêtant la main aux cabales qui renversent Louvois. Fidèle à cette tactique des cours qui consiste à écarter les hommes indépendans, les hommes de mérite pour les remplacer par des médiocrités et des créatures, elle protège Chamillart, qui ruine le trésor public par son incapacité, et Villeroi, plus incapable encore, qui nous attire la défaite de Ramillies. Sans pousser ouvertement Louis XIV à la révocation de l’édit de Nantes, elle l’y prépare en jouant auprès de lui le rôle de convertisseur, et, quoi qu’on ait dit pour la réhabiliter, il reste acquis à l’histoire un fait contre lequel ne sauraient prévaloir les apologies rétrospectives, c’est que sa domination correspond exactement à la plus triste période du règne[1].

Si grand qu’ait été l’ascendant de Mme de Maintenon, il n’avait pas effacé dans le cœur du roi le souvenir de Montespan, la seule femme peut-être qui lui eût laissé des regrets. Mme de Montespan était morte en 1707, et quelques années plus tard Louis XIV déclarait, par l’édit du 7 août 1714, que les enfans qu’il avait déjà légitimés au moment de leur naissance, le duc du Maine et le comte de Toulouse, seraient appelés à succéder, ainsi que leurs descendans mâles, à défaut des princes du sang. Cet édit causa dans le royaume un étonnement profond, car le duc et le comte étaient nés d’un double adultère; la dissolution du mariage de la toute-puissante favorite n’avait point été prononcée, de telle sorte qu’au point de vue des lois civiles et religieuses c’étaient non pas les enfans du roi, mais les enfans du marquis de Montespan qui pouvaient être appelés ta régner sur la France. Le prince le plus fier de sa race,

  1. Mme de Maintenon peut passer justement pour la femme la plus habile de notre histoire. Elle occupe dans l’état une place considérable, mais elle a toujours soin de s’effacer, et son influence ne laisse pour ainsi dire aucune trace. C’est par la vie intime, par la conversation, par des conseils discrets qu’elle pénètre dans le gouvernement, et qu’elle s’empare de l’esprit de Louis XIV en lui laissant croire qu’il est le seul maître et le maître absolu. Gabrielle et d’Entragues, en affichant l’intention de se faire épouser par Henri IV, s’étaient créé des obstacles presque insurmontables. Mme de Maintenon tourne les difficultés en se faisant épouser en secret par Louis XIV. Elle laisse de côté le titre de reine pour s’en assurer tous les avantages. Fidèle à la maxime « que rien n’est plus habile qu’une conduite irréprochable, » elle laisse vieillir Louis XIV en le tenant à distance, et se fait de sa vertu un moyen de parvenir. Il y aurait bien des choses à dire au sujet des réhabilitations dont elle a été l’objet de notre temps; mais il suffit de s’en tenir aux jugemens de ses contemporains, à la haine instinctive qu’elle leur a inspirée, et le seul mérite qu’on puisse lui reconnaître en dehors d’un talent d’écrivain de premier ordre, c’est d’avoir soutenu le courage de Louis XIV dans les jours de l’adversité.