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se faire épouser; elle était fille de Marie Touchet, la favorite de Charles IX, et elle s’autorisait de cette origine presque royale pour aspirer à la couronne. Henri IV lui avait signé une promesse de mariage, qui fut déchirée par Sully; pour se venger du ministre, elle s’allia aux ennemis du roi, entra dans le complot de Biron, ouvrit, comme d’Élampes, des négociations avec l’Espagne, et favorisa les projets de Philippe III comme la France.

Les exemples donnés aux Bourbons par le fondateur de leur dynastie furent fatals à Louis XIV et à Louis XV, car jusqu’alors l’idéal de la royauté française, de la royauté religieuse, militaire et justicière, s’était incarné dans saint Louis. Ce grand prince dominait la tradition monarchique comme son type le plus parfait, et le souvenir de ses vertus s’était perpétué à travers le moyen âge, sinon comme un frein, du moins comme un reproche pour ceux de ses descendans qui avilissaient leur caractère de princes chrétiens et de chefs d’un grand état; mais avec Henri IV le type change. Ce n’est plus le saint, c’est le vert galant qu’on se fait un point d’honneur d’imiter, en excusant ses faiblesses par la gloire et les bienfaits de son règne.

Tout en faisant revivre les traditions de galanterie de son illustre aïeul, Louis XIV était trop personnel, trop jaloux de son pouvoir, pour laisser les favorites intervenir officiellement et ouvertement dans les affaires de l’état. Leur action ne s’est fait sentir sous son règne que d’une manière détournée, mais elle n’en est pas moins très réelle, et l’on peut en suivre la trace depuis la mort d’Anne d’Autriche jusqu’aux premières années du XVIIIe siècle.

Quand on voit Louis XIV traîner aux armées La Vallière et Montespan, déployer pour elles au camp de Compiègne des magnificences qui surpassent le camp du Drap-d’Or, leur donner en spectacle des sièges et des bombardemens de villes, comme pour faire pendant aux ballets de la cour et aux fêtes de l’île enchantée, on peut croire que la galanterie est entrée pour une bonne part dans les folies guerrières de sa jeunesse. Quand on le voit, au déclin de sa vie, se faire le persécuteur des protestans, le protecteur armé du catholicisme anglais, on peut croire aussi qu’il ne cherchait, suivant le mot du temps, à ramener au bercail les brebis égarées que pour se remettre en grâce avec Dieu, et se faire pardonner ses adultères publiquement affichés, les filles d’honneur lâchement séduites, et ses duretés envers la reine Marie-Thérèse, morte de chagrin à quarante-cinq ans. Enfin, lorsqu’il clôt saintement l’ère des maîtresses par un mariage clandestin avec la veuve Scarron, cette illustre intrigante le domine à son insu. Elle tourne ses idées vers une dévotion étroite et ombrageuse; elle soutient de