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ment anecdotique et scandaleuse, aux intrigues d’antichambre et de boudoir, aux madrigaux des courtisans. Ils subissent encore à leur insu l’impression des basses flatteries que les chroniqueurs et les poètes ont prodiguées à la belle Agnès, à Diane de Poitiers, à la duchesse d’Étampes, à toute la série ; c’est en vain que l’abîme des révolutions, plus profond encore que l’abîme des siècles, nous sépare de cette monarchie où Bossuet lui-même s’inclinait devant Montespan, où Louis XIV pouvait faire pendre un malheureux libraire chez lequel on avait saisi le fameux pamphlet la veuve Scarron, sans qu’une voix s’élevât dans le royaume pour protester contre un pareil attentat, car la loi de majesté couvrait les favorites aussi bien que le prince. Nous demandons encore le respect pour la veuve Scarron devenue la femme du grand roi, sous prétexte qu’elle a purifié sa vieillesse. Nous ne voulons pas admettre, même dans de sérieux travaux d’érudition, qu’Odette de Champdivers ait été fille d’un marchand de chevaux, et on lui fabrique une généalogie fantaisiste pour l’élever par la naissance à la hauteur de sa destinée. Nous croyons qu’Agnès Sorel a poussé Charles VII aux grandes entreprises, que Pompadour a protégé les philosophes par amour de la philosophie; nous nous attendrissons sur la pénitence de La Vallière, mais nous laissons trop souvent dans l’ombre les graves questions que soulève l’intervention des favorites dans les affaires du royaume et leur influence sur les destinées du pays.

Sous un gouvernement libre, les individus, quelles que soient leur ambition et leur audace, ne peuvent exercer le pouvoir que dans les limites qui leur sont assignées par les institutions et les lois; sous un gouvernement absolu au contraire, le prince peut associer à l’exercice de son autorité telle personne qu’il juge convenable. Pour devenir un grand personnage, il suffit, comme le dit La Bruyère, de voir le roi et d’en être vu. Pierre de La Brosse, barbier de saint Louis, Olivier Le Dain, barbier de Louis XI, Lebel, valet de chambre de Louis XV et gouverneur du Parc-aux-Cerfs, tiennent dans l’état une place importance. Sauf quelques grands règnes, où les rois élèvent les intérêts du pays et leur souveraineté au-dessus de leurs passions ou de leurs faiblesses, la vieille monarchie est livrée aux influences des entourages, et depuis les maires du palais, qui ne servent la royauté franque que pour la perdre, jusqu’aux roués de Louis XV, qui la corrompent pour la dominer, chacun, dans ce monde étrange et remuant qu’on appelle la cour, veut prendre une part de ce pouvoir dont le fardeau semble trop pesant pour un seul homme. Les favorites, par la nature de leurs relations, étaient mieux que personne en mesure d’en arracher des lambeaux, quand elles ne l’usurpaient pas tout entier; elles ont vengé les femmes,