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miné l’exorcisme contre ce rêveur épris de mysticisme, altéré d’infini. Que pouvait-il répondre? Est-ce qu’on argumente avec les faibles? — La poésie de Shelley se rapproche beaucoup de celle de Novalis, et ce n’est point seulement par des traits de physionomie que ces deux rares poètes se ressemblent. Contemplation de la nature, divination de ses moindres secrets, mélange exquis de sentimentalité et de métaphysique, avec cela nulle plasticité, des mirages et point de formes, l’élévation aboutissant au vide, une atmosphère où l’on éprouve, à force de monter, ce refroidissement qui vous gagne dans les couches supérieures de l’air ! — la Reine Mab, ce rêve d’un enfant de dix-sept ans, faisait l’admiration de Byron. Qu’on lise à ce sujet une note des deux Foscari; l’influence fut même si forte que le drame de Caïn, au second acte surtout, en a gardé l’empreinte. Du reste, ce n’est point l’unique fois que la pensée de Shelley ait déteint sur Byron.

Dès 1816, ils s’étaient revus en Suisse. Shelley, nouvellement marié à sa chère Mary Godwin (l’auteur de Frankenstein), venait passer l’été dans une maison de campagne au bord du lac de Genève et non loin de la villa Diodati, qu’habitait Byron. Les deux amis se rencontrèrent dans un hôtel, sur la route de Coppet. Pourquoi l’aimable biographe de la Jeunesse de lord Byron a-t-il omis à cette occasion un chapitre qui de sa plume eût acquis tant d’intérêt? Lord Brougham parlant aux Français de Voltaire semble prendre à tâche de négliger le séjour en Angleterre pour ne nous entretenir que de Cirey et de ses hôtes, que nous connaissons trop. Ici, même lacune dans le livre et même désappointement chez le lecteur. Pourquoi, fût-ce agréablement, revenir à des choses connues, alors qu’on possède à part soi l’inédit et tout le talent qu’il faut pour l’écrire? Shelley, lord Byron à Coppet, tableau d’histoire et de famille dont se repaissait d’avance notre curiosité, et qu’on nous refuse! Lord Byron admirait infiniment Mme de Staël, mais il la craignait. Ce talent viril, ce caractère, effrayaient, décontenançaient sa nature moins efféminée encore que féminine. Il mettait Delphine' fort au-dessus du célèbre roman de Rousseau, et l’intérêt que lui témoignait Mme de Staël le flattait beaucoup; cependant nous voyons qu’il se maintint toujours à distance, plus sous l’autorité que sous le charme. La vraie sympathie fut pour Mme la duchesse de Broglie. Tant de simplicité unie à tant d’intelligence, de vertus, l’eut bientôt subjugué. « La force douce est grande, » disait jadis Épiménide, et nous ajoutons : souvent d’autant plus grande qu’elle a pour vis-à-vis la force qui s’affirme et que sans le vouloir elle lui fait contraste, «Je ne connais rien de plus beau, de plus touchant que le développement des affections domestiques chez une