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jamais son neveu autrement que le « cloche-pied! » Ce boiteux était devenu le maître du domaine et pair d’Angleterre en dépit du délabrement de ses finances.

La pairie! là fut en effet le suprême orgueil de son existence. Au fond, il n’estimait que le rang, que le titre. Byron n’aima jamais le peuple ni au sens purement moral, ni au point de vue politique. Ses vers ne s’adressent qu’aux classes élevées, et son génie, bien qu’il soit une barrière de plus qui le sépare du commun des hommes, compte moins à ses yeux que sa qualité de lord. Ses passions, ses penchans l’entraînaient vers les rois de la mode. Il rêvait d’être, comme le prince régent, « le plus accompli des gentlemen d’Europe, » et préférait la gloire de sir Robert Lovelace à toutes les couronnes d’un Tasse ou d’un Camoens. Dans ses classes, il travaillait peu, lisait beaucoup, s’appliquant surtout aux notions générales et parlant de chose et d’autre avec flamme, entrain, abondance. Ses professeurs, sans tenir compte de ses essais poétiques, lui prédisaient pour l’avenir de grands succès oratoires. En attendant, le futur Démosthène se distinguait par les plus insolites traits de mœurs. Au collège de Harrow, de même qu’à l’université de Cambridge, c’est par mille extravagances que son génie se manifeste; l’excentrique est ce qui l’attire. Son talent, son esprit, répugnent à l’ordre. A Newstead-Abbey, plus tard, il élève des ours, tient commerce avec des loups, et trouve plaisant de sabler la nuit, entre amis, le vieux bourgogne dans un crâne humain monté en coupe. Tout aussi détraqué du cerveau que le prince Hamlet, et ce n’est certes point trop dire, il s’entendra non moins que lui en femmes, en chevaux, en rapières.

Raconter les aventures galantes du jeune lord serait attenter à la poésie même de son Don Juan. Un épisode a cependant son intérêt particulier, sa rencontre dans les hihglands avec Mary Duff, une fillette pour laquelle il s’éprit de belle passion à l’âge de neuf ans. « J’ai beaucoup pensé dernièrement à Mary Duff, écrit-il dix-sept ans plus tard. Quelle chose étrange que j’aie pu m’attacher si tendrement à cette jeune fille dans un âge où je ne pouvais ni connaître l’amour ni même comprendre le sens de ce mot ! Ma mère avait coutume de me railler au sujet de cette affection, et plusieurs années après, j’avais alors seize ans, elle me dit un jour et tout à l’improviste : « Byron, j’ai eu une lettre d’Edimbourg; Mary Duff est mariée! » Quelle fut ma réponse? J’ignore ce que j’éprouvai en ce moment; mais je tombai presque en convulsion. Étrange chose que l’histoire de cette liaison! Nous n’étions, à cette première époque de la vie, elle et moi, que de vrais petits enfans; je me suis depuis ce temps énamouré plus de cinquante fois, et cependant je