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coup à ce que l’univers reçoive la confidence des pas de châle et des entrechats exécutés autour de lui par cette folle bayadère. Je ne saurais, quant à moi, estimer comme une immense conquête de l’art moderne cet esprit d’absolue indiscrétion qui nous introduit au plus intime de la vie d’un homme ou d’une femme, nous ouvre les livres de compte et le cabinet de toilette, nous met au courant d’une foule de petits scandales et de petites misères, et qui, sans profit aucun pour l’histoire, atteint dans sa considération tel personnage qu’il convient à la société d’admirer.

« Calomniez : » si jamais il fut au monde un homme auquel le mot de Beaumarchais soit applicable, c’est l’auteur de Childe-Harold et de Don Juan. Ce héros-là n’appartient ni à la mythologie ni à l’histoire ancienne, ce qui n’a point empêché la fable de l’étreindre, et cette fable, au lieu de nous trouver indifférens, nous émeut, nous passionne jusqu’à nous égarer et sur le caractère du poète et sur la nature des sentimens que son œuvre nous commande. Tant d’impressions venues de tous côtés, de mémoires, de lettres, de notices et de confidences, ont fini par altérer profondément, sinon par défigurer le type, en ce sens que chacun de nous, selon qu’il est porté pour ou contre, n’a guère qu’à étendre la main pour saisir des argumens ou des objections à sa convenance. Nous lisons et relisons ces mémoires, ces commentaires, sans nous demander seulement quelle valeur critique ils peuvent avoir à nos yeux, et parce que d’une certaine classe d’hommes, dont est Byron, tout vous captive, vous entraîne. Qu’est-ce pourtant que l’autorité d’une lady Blessington, d’un capitaine Medwin? Que nous font leurs cahiers de notes et leurs jugemens? Ces gens l’ont approché; l’en ont-ils connu davantage? Quelles clartés leur talent et leur style nous donnent-ils sur leur esprit d’observation ? Qu’ont-ils vu autre chose que ce que Byron a voulu leur laisser voir, tous ces Polonius attirés au soleil de sa renommée, et dont il s’est amusé peut-être à ses propres dépens?

Certains miroirs sont disposés de manière à ne jamais réfléchir d’une physionomie que la grimace. C’est à l’œuvre même lyrique de lord Byron qu’il faut revenir aujourd’hui pour dégager la vérité du personnage. N’est-il pas, lui, presque toujours l’acteur qu’il met en scène? Nul ne poussa plus loin la folie du prestige; à une époque dont il n’est pas un héros, pas un coryphée, qui n’ait mérité l’épithète qu’un saint pontife, homme d’esprit, appliquait à Napoléon, il fut le comédien par excellence, le chef d’emploi, et n’eut en quelque sorte qu’un programme : vivre au vu et su du monde entier une aventureuse et romanesque existence. Quoi d’étonnant alors que le public se soit mêlé de ses affaires et que la confusion