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déclara tout net que jamais il ne consentirait à ce mariage, puis s’en alla faire son service.

Pendant qu’il se livrait à de sombres réflexions, il fut accosté par le colonel, qui le pria d’entrer chez lui : il avait à lui parler. — Levestone, lui dit-il après quelques propos, j’aime votre fille. Voulez-vous m’accorder sa main?

Le pauvre Levestone fut abasourdi de cette proposition. Cependant l’idée lui souriait fort, et il répondit qu’il était très flatté de la demande du colonel; il l’engageait seulement à se faire agréer par Cécile. Dès ce jour, le colonel, se sentant sûr du père, ne bougea plus de chez les Levestone. Il entrait à toute heure. Après avoir inutilement essayé de le décourager par une froideur qui eût rebuté tout autre amant, Cécile prit le parti de fuir la maison pour échapper à ses importunités. Elle ne pouvait cependant éviter de le voir au thé; elle s’en vengeait en étant avec lui aussi désagréable que possible.


IV.

Grâce à la tactique adoptée par Cécile, il se passa quelque temps avant que le colonel trouvât une occasion favorable pour se déclarer. Un matin, la petite reine, absorbée dans une profonde rêverie, suivait au pas de son cheval un sentier ombreux. Elle aperçut de loin, assis sous un arbre, un homme qu’elle reconnut aussitôt, et qui parut l’avoir également reconnue, car il se leva et vint se placer au milieu de la route. Le colonel Houston était vraiment fort beau, et en dépit de son aversion Cécile ne put s’empêcher de remarquer l’élégance aristocratique de sa personne et à grâce de sa démarche un peu nonchalante. Il était aussi très déterminé, et, quoique la petite reine fût bien résolue à passer son chemin avec un simple « bonjour, colonel, » elle se trouva prisonnière de Houston, qui saisit son cheval par la bride et la retint de force. — Ne soyez pas si pressée, dit-il d’une voix douce, étrange dans sa bouche. Depuis longtemps, je cherche en vain l’occasion de vous parler. J’ai quelque chose à vous dire.

— J’espère que la chose dont il s’agit est très intéressante, sinon ce n’est pas la peine de me retarder. Ne pourriez-vous remettre cette importante communication à ce soir? Vous êtes toujours si terne au thé que ce sera pour vous une bonne fortune d’avoir un sujet de conversation.

Il rougit. — Comment pouvez-vous plaisanter, dit-il, quand vous voyez que je parle sérieusement?

— Sérieusement? oui vraiment, je le vois à mes dépens, reprit- elle en fouettant son cheval. Vous avez l’air d’avoir pris à tâche sérieusement de vous rendre désagréable.