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clientèle française. C’était de ce côté qu’il y avait le plus à gagner, sinon en argent, du moins en territoires; mais fils d’une Anglaise, élève de la Prusse, feld-maréchal prussien et pensionnaire anglais, jaloux à l’excès de son autorité, dans Napoléon il méprisait le parvenu, haïssait le Français, craignait le maître. Lors du voyage triomphal du nouveau césar sur les bords du Rhin (septembre 1804). il se mit en route pour saluer le conquérant, que tous les princes allemands accablaient déjà de leurs adulations[1], et qui commençait à poser les bases de la confédération du Rhin. Cependant Guillaume n’alla pas plus loin que Hanau, et se fît excuser auprès de l’empereur sur une maladie qui lui serait survenue[2]. Cet accident ou cette hésitation eut une influence fatale sur sa destinée.

Le ministre de France à Cassel, alors M. Bignon, assure que c’est à la Hesse-Électorale que revient l’idée première de ce Rheinbund dont elle devait être exclue et qui devait même recueillir ses dépouilles[3]. A la cour de Cassel, le parti de l’alliance française était représenté par le baron de Waitz ; désireux de soustraire son maître à la dépendance prussienne, il aurait soumis à Bignon l’idée d’une grande confédération des états secondaires de l’Allemagne sous la protection de la France. Napoléon chargea son ministre de déclarer à l’électeur que « l’empereur comptait sur lui pour être l’homme d’armes de la confédération projetée; » mais les exigences de Guillaume étaient extrêmes : il aurait voulu, assure-t-on, que Napoléon lui sacrifiât ses cousins de Hesse-Darmstadt. Déjà il avait déplu par son obstination à garder à sa cour l’intrigant ambassadeur anglais Taylor, dont Napoléon voulait se débarrasser. Après Austerlitz, il ne fut pas compris dans la grande promotion de rois et de grands-ducs qui accompagna la conclusion de la confédération rhénane. Son dépit fut extrême. Il déclarait hautement qu’il « aimait mieux être un simple maréchal prussien qu’un roi de la fabrique de Napoléon. » Cependant il imagina, pour se donner de l’importance, « de faire entendre à la cour de Prusse que la France était très jalouse d’attirer la Hesse dans la confédération du Rhin; à l’en croire, le ministre de France à Cassel lui aurait offert pour le décider les dépouilles de la maison d’Orange-Fulda, alliée à la Prusse[4]. » Cette vanterie fut une des choses qui contribuèrent le plus à exciter la cour de Prusse contre Napoléon et à précipiter la catastrophe dont l’électeur de Cassel allait être la première vic-

  1. Treitschke, Canzleistil aus den napoleonischen Tagen, dans Preussische Jahrbücher, janvier 1872.
  2. Voyez la réponse de Napoléon dans la Correspondance de Napoléon Ier, 2 octobre 1804.
  3. Bignon, Histoire de France depuis le 18 brumaire, t. IV, p. 127.
  4. Bignon, t. V, p. 382.