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ménagemens et les détours convenables, cherchait à faire porter sur les autres le plus fort de la réduction. C’est pour ce résultat que les divers délégués mettaient en jeu tout ce qu’ils pouvaient avoir de ressources diplomatiques.

L’administration française avait bien compris qu’il serait difficile d’établir dès l’abord entre tant d’intéressés une entente commune. Cependant elle mettait son honneur à voir aboutir l’œuvre d’union qu’elle avait inaugurée, et elle apportait même une certaine coquetterie à faire adopter sans changement notable le projet qu’elle avait préparé. Pour y arriver, elle n’avait voulu proposer que des mesures générales qui ne pouvaient pas soulever d’opposition grave, et elle avait rejeté à une époque ultérieure la détermination précise des taxes effectives. Le projet se contentait donc de substituer le principe de la taxe uniforme à celui de la taxe par zones. On se bornait à établir que toutes les dépêches échangées entre deux états, soit directement, soit par l’intermédiaire d’autres pays, seraient soumises à une seule et même taxe. Des accords particuliers interviendraient dans chaque cas spécial entre les gouvernemens pour fixer cette taxe et la partager entre les états intéressés, suivant le parcours moyen des correspondances dans chaque territoire.

Il faut bien l’avouer, le projet rejetait ainsi sur l’avenir le plus gros de la difficulté. Vingt et une puissances intervenaient à la conférence; si l’on songe au nombre de combinaisons que représentent les ententes nécessaires entre ces puissances prises deux à deux, trois à trois, quatre à quatre et ainsi de suite, on ne pourra manquer d’être effrayé du nombre d’arrangemens[1] qui devaient ainsi être conclus dans un bref délai. Sans doute, parmi les arrangemens théoriquement possibles, il n’y en avait qu’un très petit nombre qui fussent nécessaires ou réellement utiles; mais en se réduisant même à ceux-là, on se trouvait encore en face d’une série de traités vraiment inépuisable. Aussi des objections nombreuses s’élevèrent contre l’idée française. La plupart des délégués considéraient l’établissement du tarif comme le principal motif de leur voyage à Paris, et ils n’admettaient guère qu’ils pussent s’en retourner sans avoir arrêté le chiffre des taxes afférentes à leur pays.

  1. On sait comme les nombres grossissent vite lorsqu’il s’agit de sommer les combinaisons d’une quantité déterminée d’objets Donnons d’ailleurs ici un chiffre pour fixer les idées. Laissons de côté les arrangemens deux à deux, c’est-à-dire les conventions entre limitrophes, puisque, suivant les habitudes reçues, elles restaient en dehors du droit général. Prenons seulement les arrangemens trois à trois, quatre à quatre et cinq à cinq; négligeons ceux qui supposent l’accord de plus de cinq puissances. Nous arrivons ainsi, pour le total de ces arrangemens possibles, au chiffre fort respectable de 27,664.