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diateur écouté dans les querelles du parlement et de l’église, honnête homme au fond, très désireux de marcher d’accord avec l’opinion, il gouverna sans peine les affaires diplomatiques pendant la période des succès militaires ; mais il n’avait à aucun degré les vertus des temps difficiles. Bernis était né pour le genre fleuri en politique comme en littérature. Sa peur fut si forte qu’elle lui donna le courage de blesser le sentiment du roi et la vanité de la marquise : jeté hors de ses mesures, démentant les principes de toute sa vie, il osa déplaire, et se perdit en effet par cette audace. C’est ici que se marque la différence essentielle des deux correspondances. Dans les mois qui suivent la bataille, en novembre et décembre, le style officiel de Bernis conserve un semblant de fermeté ; selon le mot de Soubise, il est sur le bon ton. Le ministre écrit dans sa dépêche du 14 novembre : « Malgré cette disgrâce que le roi ressent en père de ses sujets et en fidèle allié, notre courage et notre constance ne feront que redoubler ; leurs majestés impériales nous en ont donné l’exemple, et nous sommes résolus de le suivre. » L’impératrice « avait prié le roi en grâce de ne savoir pas mauvais gré à M. de Soubise de l’affaire du 5 ; » Bernis répond le 22 : « Le malheur arrivé, loin d’ébranler le courage du roi, n’aura d’autre effet sur lui que de redoubler ses efforts pour le réparer. Quant à M. de Soubise personnellement, l’intérêt que l’impératrice-reine a pris à son malheur lui serrvirait de justification auprès de sa majesté, si l’on pouvait en rejeter le blâme sur lui ; mais le roi est persuadé qu’il a fait ce qu’il a pu dans cette occasion : aussi sa majesté n’a rien diminué de son estime et de sa confiance en lui, et vous pouvez assurer l’impératrice-reine que ce sentiment, joint à la recommandation de sa majesté impériale, a déterminé le roi à continuer pour toujours à M. le prince de Soubise le commandement du corps de réserve de la grande armée avec état-major. »

Que disait Bernis, aux mêmes dates, dans ses confidences à Choiseul ? Voici ses lettres particulières du 14 et du 22 novembre ; on peut comparer ce langage plaintif et abattu à la vigueur des dépêches officielles qui partaient par le même courrier, « Jugez, mon cher comte, dans quel état nous sommes ! Jugez de la situation de notre amie et du déchaînement de Paris. Le public est injuste, mais il est comme cela ; il ne faut pas s’acharner contre le public. Il faudrait un gouvernement, et il n’y en a pas plus que par le passé. Les malheurs affligent et ne corrigent pas. J’en suis aux jérémiades auxquelles on est accoutumé et qui ne font plus de sensation. Sensible et, si j’ose le dire, sensé comme je suis, je meurs sur la roue, et mon martyre est inutile à l’état. On n’a vu dans la bataille perdue que le seul M. de Soubise ; notre amie lui a donné les plus