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toire semble l’oublier : Rosbach n’est qu’à moitié un désastre français. Nous avions alors deux armées en Allemagne : l’une, « la grande armée, » forte de 185 bataillons et de 181 escadrons, opérait en Hanovre sous les ordres du vainqueur de Mahon ; elle avait remporté la victoire d’Hastembeck, que Bernis appelle « une plate victoire, » et conclu la triste convention de Closter-Seven. Un corps de 30 000 hommes, joint à 30 000 impériaux, manœuvrait en Saxe sur la Sala ; les Parisiens, nous dit Barbier, appelaient cette armée combinée l’armée des tonneliers, parce qu’on la destinait à raffermir les cercles. C’est elle qui, poussant une pointe du côté de Leipzig, rencontra Frédéric à Rosbach. Elle avait pour général en chef, non pas le prince de Soubise, mais un Saxon, le prince d’Hildburghausen, dont nos lettres font un portrait qui n’a rien d’héroïque : usé par l’âge et les infirmités, dormant jusqu’à midi, ne montant jamais à cheval, « avançant quand les Prussiens reculaient, reculant quand ils avançaient, » d’un caractère ombrageux et tracassier, désolant les troupes par ses variations continuelles et les officiers par son humeur, ce Saxon avait pour unique soin d’assurer aux impériaux le pas sur les Français, l’avantage dans les campemens et la préférence dans les distributions. Avec une finesse toute germanique, il imaginait des projets téméraires, bien sûr qu’ils seraient écartés par le conseil ; mais il en gardait l’honneur dans ses propos et ses lettres, en rejetant sur la timidité des alliés l’avortement de ces conceptions brillantes. Ajoutez la mauvaise qualité des troupes de l’empire, sorte de landwehr sans consistance qui marchait à regret contre le roi de Prusse, en déclarant tout haut qu’elle mettrait bas les armes à la première affaire, « Ne vous flattez pas, monsieur, écrivait Soubise à Choiseul dès le mois de septembre, que les troupes de l’empire osent ou veuillent combattre le roi de Prusse ; leurs généraux ne cachent pas l’opinion qu’ils en ont et ils en parlent publiquement. La plupart des soldats sont malintentionnés, le reste meurt de peur ; le tout ensemble est si mal composé et si mal approvisionné que l’on ne peut former aucune espèce de projet ni exécuter aucune opération. Comment marcher à l’ennemi avec de telles troupes, qui n’ont jamais fait la guerre et qui n’ont été exercées qu’à monter la garde ? Je ne parle pas de leur indiscipline. J’aimerais beaucoup mieux combattre avec les Français seuls que d’être abandonné au milieu d’une bataille. »

Soubise, qui commandait le corps français sous la direction supérieure du prince d’Hildburghausen, n’était pas un général plus incapable que Richelieu ou Clermont. Brave de sa personne, ai— mable surtout et d’une politesse accomplie, il mettait sa gloire, en présence du hargneux Saxon, dans un esprit de douceur patiente,