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magne. La secte comptait des prosélytes dans l’Anhalt, le Brandebourg, la Franconie, le Wurtemberg. Il en restait encore en Suisse. On a vu qu’ils formaient une communauté importante à Strasbourg, et qu’ils s’étaient constitués par petits groupes dans les provinces rhénanes. Les émissaires de Bockelsohn trouvaient donc le terrain préparé pour leur œuvre, et un premier succès couronna leur entreprise. À Warendorf, le conseil de la ville se déclara au bout de quelques jours pour le roi de Sion, et la commune suivit son exemple. Il est vrai que cette localité, impuissante à se défendre contre l’évêque de Münzer, fut bientôt obligée de lui faire sa soumission.

C’est en Néerlande que les apôtres du tailleur-prophète firent la plus riche moisson. Originaires pour la plupart de cette contrée, ils rentraient de la sorte dans leurs foyers. Ils s’adressaient à une population dont ils parlaient l’idiome, partageaient les mœurs et comprenaient les besoins. Cependant, s’ils parvinrent à faire reconnaître la royauté de Münster, ils ne furent pas si heureux quand ils tentèrent de provoquer chez elle une prise d’armes ayant pour but d’appuyer l’insurrection de la cité westphalienne. On sait que la divergence des idées de Hoffmann, qui conservaient chez ces sectaires un grand empire, et de celles que prêchait Jean de Leyde avait amené de la désunion parmi les fidèles. Les melchiorites, qui avaient déjà refusé leur concours, s’obstinèrent à ne point bouger, alléguant les préceptes de Hoffmann. Celui-ci avait dit que Dieu permet aux fidèles de se défendre, mais non d’attaquer. L’un des plus actifs entre les missionnaires arrivés de Münzer, Jean van Geel, qui s’était rendu à Amsterdam, lutta contre cette opposition. Il avait triomphé de bien des scrupules lorsqu’une trahison vint déjouer ses espérances. Si le nouveau messie avait trouvé des apôtres prêts à tirer l’épée comme saint Pierre, des disciples dévoués comme saint Jean, il eut aussi son Judas. L’un des compagnons de Van Geel était tombé aux mains de l’évêque de Münster. C’était un ancien maître d’école de Borken, appelé Henri Graiss. Exposé à perdre la vie, tout au moins la liberté, cet apôtre, afin d’obtenir sa grâce, promit de livrer ses coreligionnaires et pour cela de s’introduire dans Münzer, d’observer ce qui s’y préparait, puis de revenir en informer l’évêque. On accepta ses offres. Le nouveau Sinon rentra dans la ville. Il assurait avoir été miraculeusement délivré de la prison où les ennemis l’avaient enfermé. Il gagna la confiance du roi de Sion, qui l’appela dans son conseil. L’esprit prophétique s’était emparé d’une foule d’anabaptistes. Graiss se donna comme ayant des révélations, et ses prédictions se répandirent jusque dans les Pays-Bas, où Van Geel s’empressait de s’en armer pour con-