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I.

C’est en 1530 que Melchior Hofmann, ayant quitté Strasbourg, où il venait de faire prendre une nouvelle face à l’anabaptisme, se rendit dans les Pays-Bas pour y répandre une semence que l’orthodoxie bucérienne s’efforçait d’étouffer. Il y distribua un écrit composé par lui en dialecte néerlandais et intitulé l’Ordonnance de Dieu (De Ordonnantie Gots). Ses principes y étaient exposés sous une forme propre à frapper l’imagination populaire et à remuer les âmes. Aussi l’impression que ce livre produisit alors de l’Ems à l’Escaut fut-elle considérable ; elle dépassa de beaucoup cella qu’avaient faite en Allemagne les ouvrages antérieurs du même auteur. Au milieu des âpres controverses soulevées par les questions dogmatiques, des défaillances de la foi qu’elles engendraient, les idées de Hofmann apparaissaient comme une ineffable clarté. L’auteur de l’Ordonnance de Dieu était regardé par les lecteurs enthousiastes comme un véritable prophète. Ils voyaient en lui le précurseur des événemens extraordinaires dont ils attendaient le prochain accomplissement. Quand le chef des anabaptistes de Strasbourg vint en Ostfrise prêcher sa doctrine, il y fut tout naturellement reçu avec vénération, et les prosélytes se pressèrent autour de lui. À Emden, l’accueil qu’il rencontra fut tel qu’il osa administrer le nouveau baptême jusque dans une salle dépendant de l’église métropolitaine. Des communautés anabaptistes surgirent en différens lieux de la Frise, et à la tête de celle d’Emden se plaça Jean Volkerts, dit Tripmaker, qui prit un instant une position considérable dans la secte. Cependant les prédications du novateur strasbourgeois éveillèrent l’attention des autorités, et lorsque, quittant l’Ostfrise pour Amsterdam, il s’apprêtait à revenir en Alsace, ses adeptes étaient déjà dans les Pays-Bas l’objet des recherches de la police. Volkerts jugea prudent d’aller se réfugier dans cette dernière ville, et il devint le pasteur du groupe des fidèles qui s’y était formé. Amsterdam fut pour quelque temps la métropole de l’anabaptisme néerlandais, le centre d’où la doctrine de Hofmann se propageait dans les diverses provinces des Pays-Bas avec une étonnante rapidité. En Hollande, en Zélande, comme dans la Frise, les néophytes allaient grossissant tous les jours. Le peuple, dominé par des idées de réforme sociale, s’attachait comme à des vérités sublimes aux vues de l’apôtre strasbourgeois sur le caractère de l’incarnation et de la régénération chrétienne, il se repaissait de ses rêveries sur la fin du monde, en sorte que le système théologique de Hofmann se substituait à celui de Grebel et de l’école zurichoise chez ceux qui en avaient d’a-