magne les protestans, à savoir celui des princes hostiles à l’omnipotence impériale, les villes néerlandaises ne se sentaient pas de force à s’insurger contre le gouvernement de Charles-Quint. Elles redoutaient d’ailleurs le désordre qu’eût provoqué la rébellion, qui aurait ruiné leurs affaires et compromis leur liberté. Ces villes se bornèrent donc à couvrir de leur indépendance les novateurs sans entamer une lutte ouverte. Le feu de la révolte y brûlait comme sur un autel intérieur et domestique.
Obligés de cacher leurs sentimens, les protestans néerlandais ne pouvaient entretenir des relations suivies avec les états de la ligue de Schmalkalde, ce qui avait pour conséquence de les soustraire à la direction des notabilités de l’église luthérienne. Livrés à leurs seules méditations, ils étaient plus facilement accessibles aux mobiles influences des missionnaires d’opinions diverses qui parvenaient à se glisser parmi eux. Toutes les nouveautés théologiques importées de l’Allemagne, qui leur arrivaient en contrebande, étaient accueillies par eux avec empressement et confiance, et devenaient ensuite le thème de spéculations nouvelles où s’égarait leur imagination enthousiaste. Voilà comment le zwinglisme fit chez eux de fervens adeptes. Toutefois les protestans néerlandais ne devaient pas s’arrêter à cette réforme, plus adaptée que le luthéranisme aux mœurs démocratiques de leur pays. Ils furent promptement entraînés vers un radicalisme ecclésiastique bien autrement prononcé, et l’ardeur de leurs croyances les précipita dans une révolution religieuse qui conduisit l’œuvre de Luther à l’abîme, et arrêta près d’un demi-siècle l’émancipation des consciences. Les Pays-Bas devinrent le dernier rendez-vous des doctrines subversives auxquelles avait abouti cette sorte de débauche théologique dont le moine d’Eisleben donna, sans s’en douter, le signal. Au sein des petites communautés indépendantes qui s’étaient affranchies de l’autorité de l’église, et qui, aspirant à la liberté, finirent cependant par se soumettre au despotisme de prétendus inspirés, se formèrent les soldats d’un ultra-radicalisme plus anarchique encore et plus extravagant que celui de Storch et de Mûnzer. Ces recrues, après avoir vainement tenté de soulever les Pays-Bas et d’y rallumer une de ces jacqueries religieuses qui les avaient désolés au siècle précédent, se jetèrent dans Munster pour y donner le spectacle des aberrations les plus monstrueuses et sombrer avec les imprudens qui partageaient leurs folles espérances.