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I

Une méprise étrange plane encore sur ces événemens, sur cette heure d’angoisse où l’empire, en s’écroulant, laissait à un gouvernement nouveau l’héritage et la responsabilité d’une lutte déjà plus qu’à moitié désespérée. Pouvait-on s’arrêter au 4 septembre, au lendemain de Sedan, cet autre Waterloo, bien plus terrible que le premier, éclatant dès le début d’une campagne ? Devait-on se hâter de plier sous la mauvaise fortune, ne fût-ce que pour limiter les sacrifices qu’on pouvait avoir à faire ? La lutte jusqu’au bout, la lutte à outrance n’a-t-elle été que le coup de désespoir et d’audace d’un pouvoir d’aventure sorti d’une révolution ? Rien n’est plus facile, après ce qui s’est passé, que d’accabler le gouvernement de septembre sous le poids des désastres qu’il n’a pas pu empêcher et qu’il a peut-être aggravés. La guerre de la défense nationale n’a pas été plus heureuse que la guerre de l’empire ; mais ce serait assurément la plus singulière illusion de croire que cette guerre, on était libre de la décliner ou de l’accepter, que, si le régime impérial était resté debout, il aurait pu faire la paix. Les bonapartistes le crient sans cesse aujourd’hui, parce qu’ils pensent alléger ainsi les responsabilités de l’empire, et, chose plus curieuse, ces hommes de septembre qu’on accuse, quelques-uns du moins, n’étaient point éloignés, aux premiers jours de leur avènement, d’avoir la même idée dans un autre sens ; ils avaient la naïveté de croire que, puisque celui qui avait déchaîné la guerre était désormais hors de cause, la réconciliation des deux peuples redevenait possible, que la révolution dont ils étaient les chefs pouvait désarmer ou désintéresser l’Allemagne victorieuse. M. Jules Favre était conduit à Ferrières par cette illusion généreuse d’une diplomatie candide ; ce n’était qu’une illusion qui s’évanouissait à l’instant sous le sarcasme tranchant et hautain de M. de Bismarck.

La vérité est que la paix après Sedan était aussi impossible pour le gouvernement de la défense nationale que pour l’empire lui-même, parce que dès ce moment, pour l’Allemagne, il n’y avait point de paix sans la cession de l’Alsace, et qu’aucun pouvoir, quelqu’il fût, n’aurait pu souscrire à l’impitoyable loi de la guerre. La paix était impossible, parce que la France, si cruellement éprouvée qu’elle fût, n’était point arrivée à ce degré d’épuisement où l’on se soumet à tout ; elle se sentait encore pleine de force et de ressources, elle était plus exaspérée que découragée. Rendre les armes, livrer l’intégrité nationale après un mois de combat, c’eût été une de ces trahisons d’un peuple envers lui-même qui ressemblent à un