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événemens d’ailleurs commencent à n’avoir plus rien de mystérieux, ils prennent par degrés leur vraie physionomie et leur caractère. Ce qu’on n’apercevait pas ou ce qu’on avait de la peine à comprendre dans la fumée du combat, on peut le saisir plus distinctement. Les documens et les révélations ne manquent plus. La lumière vient un peu de tous les côtés, d’Allemagne et de France, de l’état-major prussien et de nos généraux, des belligérans et des neutres, de ceux qui ont été acteurs ou observateurs et qui racontent ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils ont vu, des enquêtes parlementaires qui instruisent le procès de toutes les responsabilités de la guerre. Ce n’est point encore l’histoire tout entière sans doute, c’est le commencement de l’histoire par le concours de tous les témoignages sérieux, passionnés ou intéressés, qui forment déjà comme une littérature de nos désastres, qui substituent peu à peu la réalité à ce tissu de malheurs légendaires.

Je voudrais, avec tous ces récits qui se succèdent, essayer de préciser ce que j’appellerais volontiers la vérité vraie sur les hommes et sur les choses, sur cette campagne de 1870, qui n’est plus à un instant donné qu’un ensemble d’efforts brisés, d’épisodes incohérens, de tentatives désespérées et inutiles. Jusqu’au 4 septembre, c’est la guerre de l’empire, marquée par les premiers combats et les premiers désastres, par la catastrophe de Sedan et par cet investissement de Metz qui prépare une autre capitulation, dernier et sombre épilogue de la période impériale. A partir du 4 septembre et en dehors de cette agonie de Metz, qui appartient encore à l’empire, c’est la guerre de la défense nationale ramassant les tronçons de l’épée de la France, disputant pied à pied le pays à l’invasion jusqu’au moment où la résistance expire partout à la fois, sous les murs de Paris, aux frontières de Suisse et au Mans. Quelle est justement la vérité sur cette seconde partie de la lutte, sur cette guerre de la défense nationale où Paris et la province essaient vainement de se rejoindre ? Quelle est la part des chefs militaires et des dictatures improvisées qui disposent des forces de la France ? Qu’a-t-on fait, en un mot, ou qu’a-t-on voulu faire ? C’est là le tragique problème qui se débat encore, et ce qui apparaît certainement désormais, c’est que, s’il y a eu d’invincibles fatalités, il y a eu aussi, après comme avant le 4 septembre, tout ce que l’aveuglement et la présomption peuvent accumuler de fautes, tout ce que la politique peut jeter de contre-temps et de confusions dans une entreprise militaire déjà presque impossible par elle-même.