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cherchent en ce moment à nous la dérober, parce qu’elle est la seule possible. Quel plus grand compliment pourraient-ils nous faire? M. de Castellane nous déclare que ses amis sont Français avant d’être royalistes, et qu’ils ne demandent à la république que de maintenir l’ordre. Comment n’en serions-nous pas enchantés, nous dont les sentimens sont les mêmes et qui ne désirons pas autre chose? Bien plus, ils triomphent de leur propre défaite; ils oublient la conduite qu’ils ont tenue depuis dix-huit mois, et ils revendiquent presque pour eux-mêmes la paternité de cette république conservatrice, dont le nom seul les mettait en fureur il y a quelques jours. A Dieu ne plaise que nous les en blâmions! ce n’est pas nous qui pouvons nous en plaindre. Leur conversion, pour être tardive, n’en est que plus précieuse; elle est un hommage involontaire rendu par eux à la force des choses et à la cause que nous soutenons.

On me dira que la joie qu’ils affichent en ce moment n’est peut-être pas beaucoup plus sincère que leurs griefs n’étaient fondés il y a quelques jours. Qu’importe aux républicains conservateurs? Nous n’avons pas la prétention de sonder les consciences, ni encore moins de les contraindre. Le fait nous suffit, et nous comptons sur l’avenir pour en développer les conséquences. Hier les chefs de la droite montaient à l’assaut du pouvoir; aujourd’hui ils sentent la nécessité de faire la paix avec la république. M. de Castellane, à leur exemple, vous déclare qu’il accepte, au moins pour le moment, la république conservatrice de M. Thiers. Ce n’est pas nous qui lui en fermerons les portes. Si même il veut qu’elle soit son ouvrage et s’il tient beaucoup à s’en attribuer le mérite, nous ne nous y opposerons pas; nous le laisserons dire sans y mettre aucun amour-propre d’auteur. Oui, je le veux bien, la république conservatrice est non pas l’œuvre de ceux qui luttent pour elle depuis un an, mais celle des hommes qui vont à Anvers saluer le roi légitime, qui font chaque jour de nouveaux complots parlementaires, qui rédigent des manifestes monarchiques (d’ailleurs prudemment gardés en portefeuille), et qui s’en vont tous les trois mois déclarer la guerre au gouvernement. Qu’il en soit ainsi, si bon leur semble et si cette illusion peut adoucir l’amertume de leur sacrifice. Ce n’est pas ici une question de parti ou une lutte de personnes. Laissons-leur donc l’innocente consolation de couvrir leur retraite par quelques rodomontades. Peu nous importe qu’ils se disent victorieux ou vaincus, pourvu qu’ils nous aident loyalement à fonder les institutions auxquelles est attaché, suivant nous, l’avenir de la France.

Veuillez agréer, etc.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.