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Ils pensent que le bien pourrait sortir de l’excès du mal, et ils spéculent d’avance sur les désordres qu’ils comptent provoquer. Un député royaliste n’écrivait-il pas dans un ouvrage récent[1] que l’avènement de la droite au pouvoir ne manquerait pas de soulever des troubles, mais qu’il ne fallait pas s’en inquiéter, car ces troubles mêmes feraient sa force en lui fournissant l’occasion de réunir tous les hommes d’ordre pour écraser le parti radical? Ainsi (conclut l’auteur) on n’hésiterait pas à provoquer la guerre civile pour se donner l’occasion de vaincre, et les hommes qui font ces calculs patriotiques osent encore se dire et se croire conservateurs ! »

Si M. Ernest Duvergier de Hauranne avait cité en regard d’une telle accusation le passage de l’écrit auquel il fait allusion, j’aurais laissé au lecteur le soin d’apprécier si une seule de mes paroles peut en quoi que ce soit la justifier. Il a négligé de le faire. Je me vois donc obligé de réparer une omission. L’imputation dirigée contre mes opinions dont la Revue des Deux Mondes, sans doute par mégarde, s’est faite l’écho, est trop grave pour que je puisse garder le silence.

Il y a un mois et demi environ, au lendemain des élections du 9 juin, j’écrivais les paroles suivantes :

« Si, avant que l’assemblée ne se sépare, une proposition était faite à la tribune, signée par des noms considérables, affirmant qu’au retour de ses vacances le parlement sera appelé à nommer une commission de constitution, il est à peu près certain que M. Thiers en accepterait la prise en considération sans y mettre obstacle.

« Or c’est là ce que beaucoup de gens considèrent comme le seul moyen pratique de sortir de la situation actuelle sans jeter le pays dans les surprises, dans les commotions, tandis que l’étranger foule encore le sol de la patrie.

« Le dépôt d’une pareille proposition aurait pour premier résultat d’affirmer que, loin de s’affaiblir, loin de s’éteindre, l’assemblée vit; qu’elle n’a pas perdu toute énergie, et que le pays conservateur peut encore compter sur elle pour le sauver. Cet acte de virilité rassurerait l’opinion publique, donnerait du courage à ceux qui n’en ont plus, imprimerait à tous les bons citoyens une vigueur nouvelle pour se liguer contre le désordre. En un mot, l’exemple parti de haut aurait immédiatement son contre-coup dans le pays et chez les honnêtes gens.

« Un second effet se produirait en même temps et viendrait, lui aussi, au secours du parti de l’ordre. Ce serait le sentiment de fureur qui, à la vue d’un pareil acte, s’emparerait du parti radical. Lorsque celui-ci verrait la majorité de l’assemblée, qu’il croit blessée à mort, renaître à la vie, agir et se mettre en lutte ouverte avec lui, sa colère

  1. Quelques mots sur la situation, par le marquis de Castellane.