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puissante de Charlemagne; du dehors sont venus ceux qui lui ont appris à construire des villes-, du dehors lui ont été apportées des lois qui fussent autre chose que de vagues coutumes, une justice qui fût autre chose que la guerre privée et le wehrgeld, une liberté qui fût autre chose que la turbulence. Elle a reçu du dehors la chevalerie, du dehors la liberté bourgeoise, du dehors l’idée d’empire, du dehors les lettres et les sciences, du dehors les universités, copie de notre vieille école parisienne, du dehors l’art gothique, imitation des cathédrales françaises, du dehors la tolérance religieuse, enseignée par la France aux catholiques et par la Hollande aux protestans. Un Allemand a fait cet aveu, que » la race allemande n’a jamais, par ses propres forces et sans une impulsion extérieure, fait un pas vers la civilisation. » M. Zeller remarque en effet que depuis César et Tacite jusqu’à Charlemagne, c’est-à-dire durant huit siècles, l’Allemagne a donné ce spectacle assez rare en histoire d’un pays absolument stationnaire, toujours barbare, toujours ennemi de la civilisation qui florissait tout près de lui. Pour la civiliser, il a fallu employer la force; les guerriers de Charlemagne ont dû courir vingt fois des bords du Rhin, de la Seine, de la Loire, pour soutenir en Germanie les missionnaires et les bâtisseurs de villes. La Germanie n’a pas fait le progrès; elle l’a reçu, elle l’a subi.

Cette manière de juger l’histoire de l’Allemagne est conforme aux documens historiques des siècles passés. Si nouvelle qu’elle puisse paraître, elle est ancienne; il n’y a guère qu’une cinquantaine d’années que nous nous étions accoutumés à voir les choses autrement. M. Zeller n’a eu qu’à écarter de son esprit le préjugé d’admiration que les historiens allemands et français avaient établi de connivence depuis un demi-siècle. Ce ne sont pas nos récens désastres qui ont appris à M. Zeller à connaître la Germanie. Le livre qu’il vient de publier était écrit il y a dix ans. La préface seule est nouvelle, et ce n’est pas elle que nous louons ici; nous oserons même dire qu’elle fait tache, qu’elle dépare un livre de pure science historique. Elle sent l’ennemi, et nous ne voudrions pas qu’un historien fût un ennemi. Elle est faite pour la guerre, et nous ne croyons pas en France que l’histoire doive être une œuvre de guerre. Dans le corps même de l’ouvrage, un ton d’amertume perce trop souvent. l’auteur semble avoir de l’antipathie et presque de la rancune à l’égard de son sujet. Il ne dit que la vérité ; mais il ne se cache pas d’être heureux quand la vérité est défavorable à l’Allemagne, Le fond est d’une érudition exacte et sûre; la forme est trop souvent celle de la récrimination et de la haine. Ce défaut choquera sans nul doute quelques lecteurs français; au moins ne saurait-il choquer les Allemands : quel est l’historien d’outre-Rhin qui jetterait la première pierre?

Assurément il serait préférable que l’histoire eût toujours une allure plus pacifique, qu’elle restât une science pure et absolument désinté-