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au parti libéral. Ils ont presque tous la haine des institutions de l’ancien régime; mais cette haine, au lieu de s’adresser à l’Allemagne, s’exhale contre l’étranger. Veulent-ils attaquer le régime féodal, ils portent toutes leurs malédictions contre la féodalité française. Veulent-ils poursuivre la monarchie absolue, ils s’en prennent à Louis XIV, comme si les princes allemands, grands et petits, n’avaient pas été des despotes. Plutôt que de condamner l’intolérance allemande, ils condamnent la révocation de l’édit de Nantes. Ils ne peuvent pardonner aux autres peuples d’avoir quelquefois aimé la guerre; ils ont de généreuses indignations contre les conquérans toutes les fois que les conquérans sont des étrangers, mais ils admirent dans leur propre histoire tous ceux qui ont envahi, conquis, pillé. M. de Giesebrecht déclare sans aucun scrupule que la période qu’il aime le mieux dans l’histoire d’Allemagne est « celle où le peuple allemand, fort de son unité sous les empereurs, était arrivé à son plus haut degré de puissance, où il commandait à d’autres peuples, où l’homme de race allemande valait le plus dans le monde. » Ainsi l’admiration de M. de Giesebrecht est pour ces siècles odieux du moyen âge où les armées allemandes envahissaient périodiquement la France et l’Italie, et il ne trouve rien de plus beau dans l’histoire que cet empereur allemand qui campe sur les hauteurs de Montmartre ou cet autre empereur qui va enlever dans Rome la couronne impériale en passant sur le corps de 4,000 Romains massacrés sur le pont Saint-Ange. Mais que la France mette enfin un terme à ces perpétuelles invasions, que Henri II, Richelieu, Louis XIV, en fortifiant Metz et Strasbourg, sauvent la France et l’Italie elle-même de ces débordemens de la race germanique, voilà les historiens allemands qui s’indignent, et qui vertueusement s’acharnent contre l’ambition française. Ils ne peuvent pardonner qu’on leur interdise de commander aux autres peuples. C’est manie belliqueuse que de se défendre contre eux; c’est être conquérant que de les empêcher de conquérir.

L’érudit allemand a une ardeur de recherche, une puissance de travail qui étonne nos Français; mais n’allez pas croire que toute cette ardeur et tout ce travail soient pour la science. La science ici n’est pas le but; elle est le moyen. Par-delà la science, l’Allemand voit la patrie; ces savans sont savans parce qu’ils sont patriotes. L’intérêt de l’Allemagne est la fin dernière de ces infatigables chercheurs. On ne peut pas dire que le véritable esprit scientifique fasse défaut en Allemagne; mais il y est beaucoup plus rare qu’on ne le croit généralement. La science pure et désintéressée y est une exception et n’est que médiocrement goûtée. L’Allemand est en toutes choses un homme pratique; il veut que son érudition serve à quelque chose, qu’elle ait un but, qu’elle porte coup. Tout au moins faut-il qu’elle marche de concert avec les ambitions nationales, avec les convoitises ou les haines du peuple allemand. Si le