Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renaissance, qui n’était qu’une lutte brutale contre cet essor de la liberté, qui arrêta et ralentit cet essor dans l’Europe entière, et qui trop souvent n’engendra que l’intolérance et la haine. Les événemens de l’histoire se déroulaient, et nous trouvions toujours moyen de donner raison à l’Allemagne contre nous. Sur la foi des médisances et des ignorances de Saint-Simon, nous accusions Louis XIV d’avoir fait la guerre à l’Allemagne pour les motifs les plus frivoles, et nous négligions de voir dans les documens authentiques que c’était lui au contraire qui avait été attaqué trois fois par elle. Nous n’osions pas reprocher à Guillaume III d’avoir détruit la république en Hollande et d’avoir usurpé un royaume, nous pardonnions à l’électeur de Brandebourg d’avoir attisé la guerre en Europe pendant quarante ans pour s’arrondir aux dépens de tous ses voisins; mais nous étions sans pitié pour l’ambition de Louis XIV, qui avait enlevé Lille aux Espagnols, et accepté Strasbourg, qui se donnait à lui. Au siècle suivant, nos historiens sont tous pour Frédéric II contre Louis XV. Le tableau qu’ils font du XVIIIe siècle est un perpétuel éloge de la Prusse et de l’Angleterre, une longue malédiction contre la France. Sont venus ensuite les historiens de l’empire; voyez avec quelle complaisance ils signalent les fautes et les entraînemens du gouvernement français, et comme ils oublient de nous montrer les ambitions, les convoitises, les mensonges des gouvernemens européens. A les en croire, c’est toujours la France qui est l’agresseur; elle a tous les torts; si l’Europe a été ravagée, si la race humaine a été décimée, c’est uniquement par notre faute.

Ce travers de nos historiens est la suite de nos discordes intestines. Vous voyez qu’à la guerre, surtout quand la fortune est contre nous, nous tirons volontiers les uns sur les autres; nous compliquons la guerre étrangère de la guerre civile, et il en est parmi nous qui préfèrent la victoire de leur parti à la victoire de la patrie. Nous faisons de même en histoire. Nos historiens, depuis cinquante ans, ont été des hommes de parti. Si sincères qu’ils fussent, si impartiaux qu’ils crussent être, ils obéissaient à l’une ou à l’autre des opinions politiques qui nous divisent. Ardens chercheurs, penseurs puissans, écrivains habiles, ils mettaient leur ardeur et leur talent au service d’une cause. Notre histoire ressemblait à nos assemblées législatives : on y distinguait une droite, une gauche, des centres. C’était un champ-clos où les opinions luttaient. Écrire l’histoire de France était une façon de travailler pour un parti et de combattre un adversaire. L’histoire est ainsi devenue chez nous une sorte de guerre civile en permanence. Ce qu’elle nous a appris, c’est surtout à nous haïr les uns les autres. Quoi qu’elle fît, elle attaquait toujours la France par quelque côté. L’un était républicain et se croyait tenu à calomnier l’ancienne monarchie, l’autre était royaliste et calomniait le régime nouveau. Aucun des deux ne s’apercevait qu’il ne