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simplement, régulièrement. Le meilleur esprit a régné dans ces assemblées ; on s’en est tenu aux affaires locales, aux questions pratiques, à tout ce qui intéresse le plus directement le pays. Cette session des conseils-généraux avait sans aucun doute son importance. C’était la seconde application de la loi de décentralisation. N’était-il pas curieux de suivre de près cette réalisation d’une idée libérale dont le succès peut exercer une influence décisive sur le développement des institutions représentatives en France ? Mais non, les conseils-généraux sont bien modestes, ils n’offrent qu’un médiocre attrait à la curiosité. Ne vaut-il pas mieux se mettre en campagne à la suite de M. le président de la république, accompagner M. Thiers sur la plage de Trouville pour pouvoir raconter ses moindres démarches ou répéter la moindre de ses paroles, pour avoir l’occasion de dénombrer les personnages qui se succèdent au chalet présidentiel ou de décrire les expériences d’artillerie qu’on n’a vues que de loin ? Il est certainement assez simple qu’on s’intéresse au chef de l’état sous la république comme sous la monarchie ; mais franchement où veut-on en venir avec tout ce luxe de bulletins et de récits qui ne laissent pas un instant de répit à M. le président de la république ? M. Thiers a-t-il fait une promenade le matin ? dans quel costume a-t-il paru sur la plage ? qui a-t-il vu ? qu’a-t-il dit ? Est-ce qu’il ne serait point occupé par hasard de quelque machination pour organiser une seconde chambre ? Quand doit-il aller au Havre ou à Honfleur ?

Ce doit être un peu dur pour M. le président de la république de ne pouvoir se reposer en toute tranquillité, de se sentir sous l’œil de lynx des Dangeau de toute sorte occupés à raconter sa villégiature. Et ce n’est pas tout encore : que les populations se permettent de témoigner leur déférence au chef de l’état, non par des ovations serviles, mais par les marques familières d’une affectueuse confiance, ceci devient plus grave ; les nouvellistes sont toujours là aux aguets pour compter les acclamations, pour les tourner en ridicule au besoin, et par une circonstance assez étrange, ce sont les journaux qui se disent les plus conservateurs, les journaux légitimistes, qui ont de ces belles railleries. Ah ! si c’était le roi, ce serait une autre affaire, ce serait alors tout naturel et bien évidemment de la plus touchante sincérité ; mais pour un homme, pour un vieux patriote qui se contente de se dévouer à son pays, c’est une usurpation de la faveur publique, c’est une comédie visiblement arrangée. Encore un peu, vous verrez que M. Thiers aura manqué au pacte de Bordeaux parce qu’il recueillera pour le prix de ses efforts une simple et honnête popularité. Et voilà cependant à quoi on peut passer "son temps dans un pays où ceux qui ont la prétention de diriger et d’instruire l’opinion n’ont pas toujours un sentiment sérieux et vrai des choses. Il faut bien se distraire et combler ce terrible vide des vacances !