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une prétendue créance sur Bussy. Le maréchal de Bellefonds écrit à ce dernier dans les termes les plus polis pour lui demander s’il reconnaît cette dette et s’il lui plaît de l’acquitter. Bussy, qui ne doit rien, refuse; mais, s’imaginant que la politesse dont usait le maréchal était pour le narguer et qu’il ne montrait tant de courtoisie que pour trancher du grand seigneur avec lui, il lui fait sentir son ancienne supériorité dans les termes les plus blessans. Il est vrai de dire pour excuse que ce titre de maréchal de France, toutes les fois qu’il est prononcé, aie privilège de réveiller les douleurs de Bussy, et de lui faire perdre toute retenue et tout bon sens. A chaque promotion, il se dit : « J’aurais été maréchal de France avant tous ceux-là sans cette funeste aventure, » et l’amertume coule par torrens. Certes Bussy aurait été maréchal de France, sa naissance et ses services passés lui donnaient droit de prétendre à cette charge. Y aurait-il été supérieur à tant d’autres que nous le voyons railler? Il est permis d’en douter. Bussy n’en doute pas ; comme tous les hommes, il a son illusion favorite, son rêve secret, et ce rêve, c’est qu’il aurait été un grand homme de guerre. Cette préoccupation amère se trahit dans la décoration du château d’une manière presque touchante, où la vanité et la malice ne jouent cette fois aucun rôle, et qui laisse soupçonner un noble et avouable regret. Une salle entière a été consacrée à ces grands hommes de guerre du siècle, dont il aurait voulu, dont il aurait pu être l’émule et le successeur. Ils sont tous là, quelque cause qu’ils aient servie et à quelque pays qu’ils appartiennent, Condé, Turenne, Bernard de Saxe-Weimar, Olivier Cromwell, Gustave-Adolphe, Spinola, Octave Piccolomini, Waldstein, Tilly, Mansfeld. Ces portraits n’ont pour la plupart aucune valeur d’art, mais ils ont le mérite de présenter une collection complète de tous les généraux célèbres de la première moitié du XVIIe siècle, et de nous montrer Bussy sous le jour qui l’honore le plus. N’ayant pu réaliser son rêve, Bussy a voulu s’entourer au moins des images de ceux qui, plus heureux que lui, avaient eu l’astre, pour employer son langage, car il faut avoir l’astre en guerre comme en amour. Un regret de gloire où sa noblesse reprend son avantage, voilà Bussy dans ce qu’il a de meilleur; qu’il lui en soit tenu compte comme de la larme de la péri à la porte du paradis.

La guerre et les femmes, tout Bussy est là, car les connaissances et les goûts de lettré de cet homme dont l’esprit est parfois d’un tour si fin et qui a la grossièreté si délicate ne vont pas bien loin : ne confesse-t-il pas lui-même quelque part qu’il n’a jamais lu Horace? Une autre galerie, exclusivement composée des portraits des femmes les plus illustres du XVIe et du XVIIe siècle, fait pendant